un jour, une description, les recommencées

30 avril 2021

Un homme d’une cinquantaine d’années dans un magasin qui fabrique et vend des sandales depuis de longues années dans le centre d’une petite ville très touristique. Il regarde les gens entrer dans la très ancienne et jolie boutique comme si c’était une intrusion personnelle dans son salon. L’air à la fois effaré et outré. Il dit « bonjour » d’un air pincé et fait un signe de la main pour que les deux vendeuses s’occupent des clients pendant qu’il reste debout et écoute, regarde tout ce qu’elles font. Malgré cet air d’ennui affiché qui lui donne une moue méprisante, il guette le faux pas. Et, évidemment, il va y en avoir un. La vendeuse ne nous a pas demandé si on nous avait pris des mesures de pieds spécifiques à la marque. Il s’approche, chasse la vendeuse d’un coup de main et nous prend les mesures l’air toujours aussi excédé mais en affichant une politesse exquise. La seule chose qui a l’air de le ravir est d’avoir pris la vendeuse en défaut et de pouvoir reprendre la main. D’autant qu’il a compris que contrairement aux deux autres clentes qui sont dans la boutique, nous allions vraiment acheter des sandales. Il y a un moment où il est tellement désagréable qu’on a envie de partir, il le sent immédiatement et change complètement de ton. Il tente de jouer la complicité notamment en insinuant que la vendeuse qu’il a chassée n’est pas compétente. On ne répond rien, on ne sourit pas, on paie et on s’en va en le saluant et en saluant d’un large sourire la vendeuse. On n’a pas envie de se laisser gagner par la mesquinerie et l’amertume qui régnaient là.

Un jour, une description, le 9 novembre

29 avril 2021

Une femme d’un certain âge dans les rues d’une grande ville, elle doit avoir au moins soixante ans. On la remarque parce que les gens la regardent et certains se moquent plus ou moins ouvertement d’elle. On a l’impression qu’elle titube, on peut imaginer qu’elle a bu. Puis, on se rend compte qu’elle est perchée sur des hautes baskets à talons compensés et qu’elles ont l’air tellement lourdes, qu’elle les soulève avec difficulté, posant chaque pied d’un coup comme des poids au bout des jambes. Elle est habillée d’un legging noir volontairement troué, et de deux foulards noués et ceinturés en guise de tee-shirt. Elle n’a pas l’air de s’apercevoir qu’elle est quasiment à moitié nue. Elle avance avec sa lourde démarche quasi indifférente. De temps en temps, elle remet en arrière sa lourde chevelure noire et rouge qui donne l’impression que son corps petit et menu est comme tassé, écrasé par la masse des cheveux. On sent qu’elle a fait attention à sa tenue, qu’elle n’est pas habillée à la va-cite. Au contraire. Quand elle passe devant les terrasses des cafés, elle a l’air de se pavaner alors que les regards sont plutôt apitoyés ou moqueurs. Une jeune femme a une table dit même « C’est une clodo ou une folle ! ». Peut-être pas. Peut-être juste une femme qui ne sait plus comment faire pour être regardée. Peut-être juste une femme perdue. Encore une. 

Un jour, une description, le 8 novembre

28 avril 2021

Un petit palmier, mais haut, tout droit. Il y en a deux autres dans le même jardin mais qui sont près des murs de clôture, lui est seul, au milieu. Quand on est dans la maison, suivant les points de vue, il est agréable ou gênant. Il peut se retrouver devant des immeubles laids qu’il cache ou bien devant la courbe de la baie qu’il masque. Il nous a toujours paru incongru là, certainement laissé seul quand d’autres arbres ont disparu pendant le différents travaux de la maison et du jardin. On avait commencé à planter des petits arbustes près de lui pour qu’il soit moins seul. Quand le jardinier est venu le tailler, il nous a dit qu’il était malade et que, si on ne faisait pas de nombreux traitements qui risquaient fort de ne pas marcher, il allait dépérir et mourir comme beaucoup de palmiers. On a décidé de ne pas faire de traitement. On s’est dit que le traitement avait tellement peu de chances de marcher que cela ne valait pas la peine mais aussi qu’on aurait bien envie d’un autre arbre à la place ou d’un arbuste plus bas. Quand on le regarde aujourd’hui, il a l’air encore vaillant et continue de se dresser bravement. On se sent un peu coupable de le laisser à son sort. On s’est attaché à sa stature, au crissement des palmes dans le vent et on sait que s’il ne résiste pas aux charançons, papillons et larves, il nous manquera un temps. 

Un jour, une description, le 7 novembre

27 avril 2021

Une jeune femme dans le chemin devant chez vous. Elle promène son chien, vous l’avez déjà croisée plusieurs fois. Elle est habillée comme pour faire du jogging et a un visage très avenant, rond et souriant. Elle passe sont temps à courir après son jeune chien qui semble lui faire des blagues, se cacher, partir très vite, revenir en passant devant elle sans s’arrêter, disparaître, aboyer au loin. Elle est à bout de souffle et s’arrête un moment devant notre portail en s’appuyant sur le muret. Elle contemple la laisse en cuir qu’elle a à la main avec un sourire en épuisement et rire. Effectivement, on n’a jamais vu son chien en laisse. Le portail est ouvert et elle nous aperçoit, elle nous salue et nous sourit. Le chien aboie au loin comme s’il était impatient, elle se relève, nous montre la laisse en riant et dit : « allez, on y retourne ». Elle monte rapidement notre chemin en appelant son chien, il lui répond comme si’l était rassuré d’entendre sa voix et comme pour la guider. Cinq minutes plus tard, on voit le chien débouler dans le chemin et elle qui court derrière en disant : « mais c’est pas vrai, mais c’est pas vrai ». Ils jouent ensemble et leur dialogue entre parole et aboiement remplit l’espace de joie. 

Un jour, une description, le 6 novembre

26 avril 2021

Une voix amie au téléphone. C’est une voix très particulière, reconnaissable entre toutes, aigüe, on pourrait même dire qu’elle a une voix de crécelle avec un rire qui s’entend même quand elle essaie de le masquer. On a travaillé avec elle, on a fait des réunions, des rendez-vous importants et jamais on a eu le sentiment que cette voix la gênait. On a même pensé qu’elle s’en servait pour qu’on l’écoute quand elle prend la parole car toute de suite, on entend sa voix qui perce le brouhaha des conversations. Elle est très petite et très ronde, avec sa voix particulière, cela installe une présence qu’elle peut rendre intimidante comme joyeuse. Au téléphone, elle parle beaucoup et vite, rit de ce qu’elle vous raconte. Elle n’arrive pas à s’arrêter et dès que vous essayez de la ralentir, elle baisse un peu sa voix mais tout de suite elle redémarre. Vous vous rendez compte qu’il est impossible de dialoguer et qu’elle vous assomme de paroles stridentes. Vous ne savez si c’est parce qu’elle ne veut pas répondre à la question que vous lui avez posée : « Et toi, comment vas-tu ? » ou bien si elle vous en veut d’être partie. Elle vous dit qu’elle est seule en parlant de ce travail que vous avez partagé. Vous ne savez pas comment l’entendre car vous avez toujours pensé qu’elle était très seule dans sa vie. Elle a toujours refusé de parler d’elle, elle qui parle tant. Elle continue. Vous êtes inquiète. 

Un jour, une description, le 5 novembre

23 avril 2021

Un homme avec un tee-shirt blanc, un long tablier bleu plastifié et des haute bottes en caoutchouc se tient devant son petit étal de poisson. Il tient un petit étal sur le parking d’une jardinerie. Il nous a dit qu’il avait aussi un étal tenu par sa femme dans le grand marché du centre où il y a une allée de poissonniers. On le retrouve quelque jour plus tard à cet étal. Il est facilement reconnaissable car il est très grand ce qui est accentué par la petite taille de sa femme. Elle est assez ronde, les cheveux noirs et bouclés, elle porte des lunettes carrées avec des montures en écaille. Elle porte aussi un large tablier bleu plastifié dans lequel elle semble un peu engoncée. Elle a le verbe haut et mène la danse en distribuant le travail, l’un qui sert, l’autre qui vide et prépare le poisson et elle, qui est à la caisse. C’est elle qui interpelle les clients, qui fait attention de l’ordre dans lequel ils sont arrivés, qui prête attention aux habitués, qui donne des conseils. A plusieurs reprises, quand son mari sert un client ou une cliente, elle vient vers lui et on comprend qu’elle lui demande de changer le poisson, et une fois ou deux, à haute voix, elle lui dit « mais non, il va prendre plutôt celui-là, le monsieur »  en lui désignant un autre poisson précisément. Chaque fois, il le fait sans dire un mot. Pourtant à un moment, elle lui désigne un poisson et il fait un non imperceptible de la tête. Elle se reprend et dit aussitôt « ou bien, madame prendra celui-là, non ? ». Ils se regardent, on ne voit pas leur sourire derrière le masque. On sait que c’est lui qui va chercher et choisir le poisson tous les matins mais qu’elle doit rester dans son rôle de maîtresse de l’étal. C’est le jeu avec les clients et entre eux. 

Un jour, une description, le 4 novembre

22 avril 2021

Une voix amie au téléphone. On est toujours un peu sur ses gardes quand cette amie vous appelle car la conversation est parfois très longue sans qu’elle donne vraiment la raison de son appel. Comme si elle ne savait pas vraiment ce qui n’allait pas mais qu’elle le sentait suffisamment pour avoir envie de vous parler. Sachant cela, lors de son dernier appel, vous aviez posé une question directe qui l’avait faite pleurer. Vous vous en voulez encore. Vous parlez comme si vous marchiez sur des œufs mais vous essayez quand même de savoir de quoi il s’agit. La conversation démarre comme souvent tranquillement, banalement, et puis elle commence à vous évoquer une souvenir commun. Vous avez le sentiment qu’elle a entièrement transformé ce souvenir, que ce qu’elle raconte n’est pas vrai même si cela part de faits réels. Elle parle de vous à ce moment-là avec beaucoup de certitude et vous pensez que c’est complètement faux. Vous le lui dites. Vous essayez de donner votre version, d’être factuelle. Elle ne le supporte pas et dévie la conversation. Cela arrive plusieurs fois. Souvent. Vous vous rendez compte qu’elle reconstruit le réel et que lui dire qu’elle se trompe et donner une autre version, la fait souffrir. Vous renoncez. Vous l’écoutez. Vous êtes inquiète. 

Un jour, une description, le 3 novembre

21 avril 2021

Deux femmes à la table d’un restaurant. Elles doivent avoir une cinquantaine d’années. On ne peut pas faire plus dissemblables. L’une est habillée avec une large robe à fleurs et l’autre avec un tailleur noir et un chemisier blanc décolleté. L’une est plutôt ronde, l’autre très mince, l’une, blonde, l’autre brune, elles sont très différentes et très familières l’une avec l’autre comme deux vieilles amies ou mêmes deux sœurs, pourquoi pas. Elles commandent à manger et se mettent à parler, se donner des nouvelles des uns et des autres, plaisanter. La femme blonde commence à parler plus sérieusement, plus doucement faisant visiblement attention à ce qu’elle dit. L’autre est attentive, tendue et s’exclame « mais, c’est un vrai diabète, alors ». Elle se met à être fébrile, à parler beaucoup, assommer l’autre de conseils, vouloir appeler un ami médecin, se mettre à chercher des précisions sur internet avec son téléphone, une véritable panique. La femme blonde lui parle calmement, lui explique comment elle est soignée, par qui, on voit qu’elle avait complètement anticipé la réaction de son amie ou de sa sœur et qu’elle s’était préparée à ce qu’elle allait lui dire pour la rassurer. Elle la connait bien. Peu à peu, l’autre se calme et lui demande depuis combien de temps elle sait qu’elle est diabétique, on n’entend pas la réponse, mais elle dit : « et c’est maintenant que tu me le dis ! ». L’autre sourit, lui prend la main et lui dit que comme cela, elle est maintenant bien soignée et elle peut lui en parler sereinement sans l’inquiéter. Elles se regardent dans les yeux, se sourient, prennent leur verre et trinquent en silence. 

Un jour, une description, le 2 novembre

20 avril 2021

Une jeune femme et son compagnon sont assis à une petite table d’un restaurant en compagnie d’une jeune femme anglaise entourée de valises. La jeune femme anglaise vient visiblement d’arriver et le couple lui parle de la ville, commente la carte qui est en français, traduit des mots, lui montre la vue splendide sur la mer. Sauf que la jeune anglaise n’est pas face à la mer et que c’est l’autre jeune femme qui a pris d’autorité cette place de choix. Chaque fois qu’elle le peut, la jeune anglaise chausse ses lunettes de soleil, se penche et regarde la mer. Elle participe peu à la conversation et a l’air fatiguée. Elle semble mal à l’aise et mange peu. La jeune femme lui dit que c’est vrai que pour un premier repas dans cette ville du Sud de la France, manger dans un restaurant avec une cuisine d’inspiration libanaise est étrange mais qu’ils ont choisi ce restaurant pour sa vue sur la mer. La jeune anglaise ne dit rien mais relève la tête et on peut bien voir à son regard, une forme d’ironie. Quand arrive le café, elle dit qu’elle va un peu profiter de la vue quand même, en regardant la jeune femme. Elle prend sa chaise et se tourne faisant fi de ses compagnons de table. La jeune femme a l’air estomaquée, le jeune homme lui éclate de rire. La jeune anglaise se déride et rit aussi en mettant son grand chapeau et en sirotant son café. Cette complicité agace visiblement la jeune femme qui ne dira plus un mot. Les alliances se sont inversées.

Un jour, une description, le 1er novembre

19 avril 2021

Un couple avec une petite fille assis à la table d’une buvette dans un parc de la ville. Ils sont assis autour d’une petite table carrée, ils sont penchés tous les trois, concentrés. Ils jouent aux dominos. Ils ont poussé leurs boissons, posé leurs sac par terre et semblent ne pas prêter attention aux mouvements et aux bruits ambiants. Pendant que la petite fille joue, ses parents relèvent la tête et semblent sortir de leur bulle. Ils parlent, regardent autour d’eux et le père dit à la petite fille « tu entends les oiseaux ? ». La petite fille de six ans environ, lui répond très sérieuse « mais, on joue là ». Les parents se regardent et le jeu reprend. Quand la partie est finie, le père dit « et maintenant , on va se promener ». La petite fille ne bouge pas et dit « on ne refait pas une partie ? ». Elle est au bord des larmes. Sa mère lui explique qu’ils pourront toujours jouer chez eux mais que là, il faut profiter de pouvoir être, enfin, dehors. La petite fille ne bouge pas. La mère lui propose d’aller faire un tour de manège d’abord. La petite fille se lève mais sans joie. On pense qu’elle est restée longtemps seule avec ses parents chez eux et que cette liberté retrouvée lui fait un peu peur. Elle cherche a reconstituer ce cocon où qu’elle soit. Elle monte sur le manège et va dans la calèche dont elle ferme soigneusement la porte et s’enfonc bien sur la banquette. Elle est prête.

Un jour, une description, le 31 octobre

16 avril 2021

Un homme qui doit avoir une soixantaine d’années. C’est un homme de télévision. Il présente, et certainement dirige, la même émission depuis des années. Il montre des beaux lieux, des belles maisons, des artisans au travail. De temps en temps, comme s’il se rendait compte que tout ce qu’il montre est réservé à des gens ayant des moyens financiers relativement important, il montre une maison ou un appartement plus modestes mais ayant des qualités particulières. Il en rajoute alors beaucoup sur la qualité de ce lieu mettant souvent mal à l’aise les gens qu’il interroge et chez qui il est. La modestie de certains semble le mettre mal à l’aise voire l’énerver. On se souvient d’un jeune couple qui avait rénové une petite maison avec des matériaux de récupération et expliquait combien cela était important pour eux que ce soit fait de cette manière-là, avec cette « humilité » avaient-ils dit. Il s’était écrié, montrant tel ou tel objet qui avait été habilement réalisé en réutilisant un autre objet ou des matériaux usagés, et en disant que pour lui c’était d’une très grande créativité, qu’il ne fallait pas se dévaloriser, que c’était du grand art. On se souvient encore du sourire gêné des deux jeunes gens puis de leur dénégation ferme. On se souvient de son visage un court instant fermé puis retrouvant sa fausse bienveillance et prenant le spectateur à témoin, réaffirmant qu’il sait ce qu’il dit et que malgré la modestie dont ils font preuves « ces deux-là, sont des vrais artistes ». Il ne se rend pas compte combien cela nous gêne. Combien il se trompe.

Un jour, une description, le 30 octobre

15 avril 2021

Un homme assis à son bureau. Il vous accueille froidement et vous lui expliquez ce qui vous amène. Vous sentez qu’il est à la fois agacé et content. Il est spécialiste d’une sorte de scanner. Il est très jeune et il aime visiblement démontrer avec beaucoup de virulence et d’insistance combien il est compétent, combien les autres ne le sont pas. Il vous explique que tous les clichés précédents ne valent rien et qu’il va en faire d’excellents. On ne dit rien. Il commente tout ce qu’il fait, regarde vos clichés et vous dit que ça ne va pas du tout. Il voit que vous réagissez peu et comprend que vous avez l’habitude de cette maladie chronique. Il reprend ses explications et vous vous rendez compte qu’il n’a pas vu que vous aviez déjà été opérée. Vous n’êtes pas gentille. Vous ne le lui dites qu’une fois qu’il s’est beaucoup avancé dans son diagnostic encouragé par votre silence. Quand vous le lui dites, il s’arrête net, il regarde à nouveau les clichés et se remet à les commenter comme s’il avait toujours vu et su ce que vous venez de lui dire. Il est juste un peu plus rouge et a envie que vous partiez. Il essaie d’oublier ce qui vient de se passer. Il oubliera vite, son prochain patient attend. 

Un jour, une description, le 29 octobre

14 avril 2021

Une très jeune femme marche dans les rues d’une grande ville avec un homme jeune, aussi. Il est assez grand, mince. Ses cheveux sont très courts et noirs, il a un visage fin avec des yeux sombres, des sourcils très forts, un nez droit et une bouche ronde. Il a une barbe de quelques jours. Il est habillé d’un sweat-shirt à capuche noir, d’un pantalon de jogging gris et a des baskets montantes en cuir blanc de la marque « Nike » aux pieds. Il porte un petit sac en bandoulière avec le logo de la marque « Vuitton », certainement une imitation comme on en voit beaucoup. Il parle avec la jeune femme qui pousse une trottinette. A un carrefour, ils s’arrêtent puis se disent au revoir sans se faire la bise, elle grimpe sur sa trottinette et elle part. Il la suit du regard. Son vêtement ample et long vole autour d’elle comme si elle avait des ailes. Un envol. Il ne la quitte pas des yeux et on sent qu’il est ému ou inquiet peut-être. Quand il ne la voit plus, il reste au bord du trottoir et semble hésiter sur la direction à prendre. Puis il traverse le boulevard et va à l’arrêt du tram. Il sort son téléphone de sa pochette et envoie un texto. A elle, peut-être.

Un jour, une description, le 28 octobre

13 avril 2021

Une petite fille de cinq ans sur un manège. Elles sont deux, elles ne sont pas sœurs, copines peut-être ou bien ce sont les mamans qui sont amies et qui se sont donné rendez-vous là avec leurs filles. Quand elles arrivent devant le manège, les petites filles sautent et crient mais on remarque que cette petite fille brune de cinq ans, semble plutôt imiter l’enthousiasme de l’autre et ne lâche pas la main de sa mère. Elles ont droit à deux tours et, pendant ces deux tours, la petite fille va rester sagement dans la calèche qui ne tourne pas, ne monte et ne descend pas. L’autre petite fille fait des acrobaties sur son cheval, court partout quand le manège s’arrête puis s’installe dans la nacelle qu’elle fait tourner à toute vitesse. Elle a repéré ou senti que sa camarade n’est pas à l’aise alors elle en rajoute. Elle lui demande de manière à ce que les mères l’entende : « Tu as peur ? Tu veux que je vienne avec toi dans la calèche ? Tu veux venir avec moi, regarde comme ça tourne ? ». La petite fille assise dans sa calèche semble réfléchir et lui répond : « Je n’ai pas peur, j’aime la calèche, parce que, regarde, je fais le bonjour de la reine avec la main ! ». Elle sort sa main de la calèche et salue les parents autour du manège, d’un petit mouvement de la main levée et d’un petit hochement de tête. Elle a trouvé, elle est plus que soulagée, ravie et, complètement dans son rôle, elle peut enfin, profiter de son tour de manège. 

Un jour, une description, le 27 octobre

12 avril 2021

Une femme assise sur un banc dans un jardin public d’une grande ville. Ce parc du haut de la ville est essentiellement fréquenté par les familles et très peu par les touristes. Il y a un petit café, des tables, des oliviers, un manège et plus loin un musée et les vestiges romains. Malgré les masques, les gens sont contents de se promener. On remarque cette femme car elle seule et qu’on a d’abord le sentiment qu’elle parle avec de grands gestes aux arbres avant de comprendre qu’elle téléphone. Ses cheveux teints au henné, son khôl noir, sa tenue vestimentaire rouge nous fait tout de suite penser aux années soixante-dix même si le jean serré et les baskets sont plus contemporains. Elle parle très fort et on pourrait quasiment entendre aussi ce que dit son interlocutrice. Reviennent comme une ritournelle les « et oui, oh, ma pauvre, et il faut faire avec, quel malheur, mais tu sais ce que c’est, ce que j’en dis, prends patience » que l’on entend souvent dans les conversations entre personnes âgées mais qui nous surprennent dans la bouche de cette femme. On repense à cette expression de notre grand-mère « fais toi courage ». On a envie de la lui souffler pour que cette conversation, qui nous berce comme un souvenir, se poursuive. 

Un jour, une description, le 26 octobre

9 avril 2021

Un homme autour de soixante ans est assis à la table d’un restaurant avec quatre autres personnes, deux femmes et deux hommes. Le restaurant est un des plus anciens de cette ville et, même s’il est dans tous les guides, il reste très aimé des gens du coin ce qu’il sont visiblement tous les cinq. On les sent habitués et d’ailleurs aucun ne regarde la carte pour commander. On voit qu’il y a une partition nette de la table avec les deux femmes face à face, arrivées les premières, et qui avaient commandé et les trois hommes arrivés après. Ils vont manger en décalé mais de toutes les façons les deux femmes parlent entre elles et se sont à peine interrompues quand les hommes sont arrivés. Il n’y a aucun geste de connivence qui permette de savoir quels sont les liens entre eux. Jusqu’au moment où les filets de bœuf et purée de ces trois messieurs arrivent avec un peu de « mesclun ». L’un des hommes prend sa salade et la met dans l’assiette de celle qui doit être sa femme. L’autre femme regarde celui qui doit être son mari et lui lance un regard noir pour l’empêcher d’en faire autant. Il mange sa salade pendant que les deux autres rient. Puis ils se plongent tous les trois dans leur purée avec délectation. 

Un jour, une description, le 25 octobre

8 avril 2021

Un couple avec une petite fille dans une salle d’attente. Elle est calme et reste le plus souvent entre les jambes de sa mère qui semble très jeune. Elles sont toutes les deux habillées quasiment de la même manière avec des manteaux exactement identiques mais la petite fille a les cheveux juste attachés alors que sa mère porte un hidjab. Le papa reste très en retrait et semble nerveux, inquiet peut-être. Il a le dossier médical entre les mains qu’il ne cesse de tripoter, de poser, de reprendre. La mère est concentrée sur l’enfant et fait très attention qu’elle ne gêne personne, qu’elle ne crie pas. L’attente est un peu longue et la petite fille commence à bouger, à nous regarder d’abord en cachette, puis plus franchement. Elle se rapproche peu à peu et commence à faire des mouvements de danse. Après chaque mouvement, elle nous regarde. Son manteau l’empêche de tourner comme elle le veut et elle commence à l’enlever, sa mère l’en empêche et on voit que la petite fille s’énerve. Sa mère lui fait remarquer qu’elle est décoiffée et la recoiffe. L’enfant se calme et le médecin arrive. Elle court dans la salle d’examen et ferme la porte. Ses parents sont très gênés et finissent par pousser la porte et entrer à leur tour presque timidement. Le père ressort précipitamment. Il a oublié le dossier médical dans la salle d’attente. 

Un jour, une description, le 24 octobre

7 avril 2021

Un homme qui a cinquante-cinq ans, il est assis à un grand bureau sur une estrade devant un écran blanc. Il est mal à l’aise car il n’a pas de public devant lui mais une caméra. Il sait qu’il est en « visio » et qu’une partie du public l’écoute et le voit en direct mais que beaucoup d’autres le feront plus tard. Il ne sait pas comment saluer, il se reprend. C’est la première fois que l’on voit ce brillant orateur hésitant. Il commence son cours magistral. Il est habillé sobrement en gris mais avec un pull sous son costume. Son visage est toujours rond et facilement rouge, ses rares cheveux sur le haut du crâne sont plus longs et donc souvent dressés sur sa tête. Au début, il parle à la caméra de manière assez figée puis quand il commence à développer ses idées, à donner des exemples, à montrer des schémas, à faire des incises, il se met à bouger les mains puis tout le corps. Il accompagne à nouveau sa pensée de mouvements qui sont comme les gestes d’un chef d’orchestre. Il rythme ses propos et il nous semble qu’il oublie la situation artificielle. Son sujet de l’année nous renvoie à notre actualité, il le sait, il en joue mais sans jamais rien en dire. Il commence à savoir s’amuser de la situation en s’adressant parfois directement à la caméra avec un petit sourire comme quand on fait un bon coup, justement dans les moments où les parallèles avec aujourd’hui sont flagrants. Où il ne dit pas ce que tout le monde entend. La salle vide et la caméra sont devenues des alliés. Devant notre écran, on l’écoute, on le voit penser encore, inventer. On apprend. 

Un jour, une description, le 23 octobre

6 avril 2021

Un jeune homme dans un marché couvert. On pense jeune homme quand on le voit à cause de sa silhouette juvénile, de ses cheveux coupés ras sur les côtés et long dessus, largement gominés mais quand on le regarde bien, quand il est fatigué, on comprend qu’il n’est pas si jeune. Il doit avoir une trentaine d’années. Il tient un étal particulier, spécialisé dans certains produits et il a donc une clientèle d’habitués et, l’été, une clientèle de touristes qu’il harangue sans cesse. Il ne cesse de parler, de vanter ses produits, quand on lui pose une question lui demandant quel produit est meilleur pour telle cuisson, il répond toujours invariablement « que tous ses produits sont bons, que tout ira bien », et il faut insister, parlementer, pour qu’il finisse par nous lâcher « que lui, peut-être, il prendrait plutôt ça ». Toute sa famille a des étals dans le même marché et quand il y a peu de monde, ils parlent entre eux. On a le sentiment qu’il est né là, qu’il y a été élevé et qu’il n’a pas eu d’autre choix que de prendre un étal et de s’installer entrer sa mère et sa cousine. Comme sa famille avait déjà un grand étal de légumes, il s’est spécialisé, tomates et fraises l’été, champignons, pomme de terre, truffes, l’hiver. On se demande quelle est sa vie au-delà du marché. On ne sait s’il est passionné de foot, comme sa coupe de cheveux le laisse supposer, de jeux vidéo, de voile ou de ballades. Ou si, quand il n’est pas là, il attend, un peu flottant. Pourtant un jour, il nous dit être fatigué et d’avoir qu’une envie : dormir un peu le matin. C’est tout.

Un jour, une description, le 22 octobre

5 avril 2021

Une rue dans une petite ville d’Italie. De manière assez étonnante, cette jolie ville ancienne avec ses églises, ses couleurs, sa vue plongeante sur la Méditerranée, est peu connue et très peu visitée contrairement à la ville nouvelle, plutôt laide, en contrebas, connue pour son grand marché. Le rue est vide, assez sombre car sans soleil. Alors qu’elle traverse le village, il n’y a pas de commerces, même pas un bar ni une épicerie. Les maisons sont plutôt hautes pour une vielle ville et chaque maison a une porte en bois sombre qui ouvre sur la rue. Il y a peu de fleurs aux fenêtres et encore moins sur les trottoirs pourtant plutôt larges. Tout à coup, on aperçoit un ensemble coloré autour d’une porte. Il est composé d’un ensemble de fleurs naturelles et artificielles, de pots colorés en plastique et d’une chaise. On voit qu’il y a de temps en temps dans la rue des chaises comme cela et on se dit que le soir avec la fraîcheur, les uns et les autres se tiennent sur ces chaises pour parler. Mais que la personne qui a fait cet arrangement voulait quelque chose de plus, mettre de la couleur dans la rue. Une idée du beau qui se déploie dans l’espace de la rue comme une liberté. Une générosité aussi. 

Un jour, une description, le 21 octobre

1 avril 2021

Un homme entre cinquante et soixante ans à la terrasse de restaurant du bord de mer dans une petite ville d’Italie. Le restaurant est plein, tout le monde a réservé et ils arrivent les derniers. Leur table est une des plus belles et convoitées car donnant directement sur la plage et la mer. Avant de s’asseoir, il jette un coup d’œil circulaire, pose son pull sur sa chaise, et quand il s’assied, il se met dos à la vue et face à la salle. Sa femme fait de même mais elle est un peu sur le côté et n’est pas face à la salle. On sent qu’il jubile. Il veut voir et être vu. Il parle à voix haute et on est surpris qu’il soit français car il est habillé comme les hommes italiens aisés. Au début, on a pensé qu’il faisait cette petite représentation pour sa compagne mais pas du tout et il s’en désintéresse assez vite une fois qu’il a choisi pour elle ce qu’elle allait manger et boire. Puis, il commence à parler. Il ne lui parle pas et n’attend aucune réponse de sa part, juste il parle à voix haute et dit à peu près tout ce qui lui passe par la tête, cherche des choses sur son téléphone, évoque des souvenirs, commente ce qu’il mange, évoque l’actualité, se tourne vers nous pour nous prendre à témoin. Pendant tout le repas, il n’aura pas arrêté et gêne même les conversations des tables voisines. Elle n’a pas ouvert la bouche sinon pour remercier la serveuse et lui demander de l’eau. Pas un mot. 

Un jour, une description, le 20 octobre

31 mars 2021

Un homme traverse la rue devant nous en dehors des passages protégés. On pense que c’est quelqu’un de pressé. Il a des lunettes très dessinées qui nous font immédiatement penser à quelqu’un dans le design ou l’architecture. Son habillement très jeune alors qu’il semble déjà âgé, nous confirme dans cette impression fugitive. On est juste étonnée par le sac plastique noir qu’il tient à la main. Un peu plus tard, on le retrouve perché tel une vigie sur un banc public, les mains en visière semblant guetter quelque chose ou quelqu’un. Il n’en finit pas de rire de manière inquiétante. On le rencontre encore quelquefois dans le quartier. Chaque fois, il montera sur quelque chose, une poubelle, un banc, des parcs à vélos, pour regarder. Il fouille chaque endroit du regard, il se tourne pour regarder derrière lui, il crie parfois, rit toujours. Il ne parle jamais à personne, il n’interpelle pas les passants. Dans la rue, il est toujours habillé comme un jeune homme, assez soigné, il marche vite comme s’il allait à un rendez vous, à une réunion. Et puis il grimpe et scrute. Un homme qui attend quelqu’un, indéfiniment. Un homme perdu. Encore un. 

Un jour, une description, le 19 octobre

30 mars 2021

Une dame âgée, seule, à la table du restaurant d’un modeste hôtel près de l’océan. C’est une habituée de cet hôtel, elle rejoint sa table seule, sans qu’aucun des deux patrons n’interviennent. Elle marche très lentement avec une canne en bois. On remarque qu’elle s’est habillée pour le repas et qu’elle aime ce qui brille avec le doré des baskets, le brillant du pantalon et ses couleurs sont le rose et le mauve. Elle a fait un chignon et a mis une fausse fleur dans son chignon. Elle est familière avec les patrons et eux font particulièrement attention à elle. On voit qu’elle attend ses plats avec gourmandise et qu’elle mange avec un appétit et un plaisir visibles. Elle n’aime pas le dessert au menu et elle en demande un autre qu’elle a l’air de beaucoup apprécier. En mangeant seule, elle n’a l’air ni triste ni même dans un état de solitude, elle regarde les uns et les autres sans s’appesantir, elle regarde les allées et venues dans la rue, elle regarde un ou deux dépliants qu’elle a du rapporter d’une de ses promenades. Elle ne semble pas s’ennuyer ni chercher à s’occuper, elle n’a pas de livre par exemple. Elle regarde plus particulièrement une table même si elle le fait avec discrétion. C’est la seule table où il y des enfants. Deux enfants de quatre et sept ans, un garçon et une fille qui mangent avec leurs parents, qui parlent beaucoup, se lèvent pour se promener. Elle essaie de leur parler mais ils se tiennent loin d’elle. Le seul moment où son sourire se fige est quand les deux enfants vont se coucher. On se dit qu’elle est peut-être grand-mère, ou justement pas. Elle montre à peine quelques secondes de tristesse passagère et elle sourit à nouveau en plantant sa cuillère dans son dessert préféré. 

Un jour, une description, le 18 octobre

29 mars 2021

Une femme qui doit avoir une soixantaine d’années. Elle fait visiter sa maison à des possibles acheteurs. Elle surjoue l’amabilité, une forme de gaieté et elle prend en main la visite. Sa silhouette menue est très travaillée, certainement par le sport, son visage est marqué par les rides mais maquillé sans que ce soit vraiment visible pour masquer les traces du vieillissement, et ses cheveux sont teints d’un noir de jais. On sent qu’elle lutte avec acharnement contre tous les signes de la vieillesse. Dans l’habillement aussi. On voit que les transformations qu’elle a apportées à cette vieille maison sont clinquantes, criardes, et qu’elle en très fière. Marbre, plexiglas et miroir sont ses matériaux de prédilection, agaves, palmiers et yuccas, les plantes qu’elle a choisies. Il y a un écho entre ce qu’elle a fait à cette maison et la manière dont elle se vêt et se pare, comme si, presque, elle voulait rendre visible l’effort fait. On se dit que tout cela est en accord, mais que dans cette cohérence, on sent presque une brutalité vis à vis des lieux, de leur dessin et de leur histoire. On pense qu’elle n’a rien regardé mais qu’elle sait comment elle veut que sa maison et elle soient vues. 

Un jour, une description, le 17 octobre

19 mars 2021

Deux jeunes gens qui prennent un goûter dans une salon de thé parisien très chic et très ancien. Il sont assis face à face et regardent ensemble quelque chose sur un de leurs deux i-phone. Ils rient puis ils prennent la carte et semblent la commenter très sérieusement. Ils se lèvent pour aller voir la vitrine à tour de rôle, reviennent en échangeant sur leur choix. L’un d’entre eux dit « mais on prend la même chose alors » et l’autre répond « on prendra d’autres choses la prochaine fois ». Le serveur arrive et demande d’un ton pincé s’ils ont choisi, très détendus, ils passent leur commande. On ne sait si le ton pincé et l’attitude un peu méprisante du serveur guindé sont ceux qu’il a en permanence où s’il les réserve à ces jeunes gens qui dénotent dans le décor. Ils sont jeunes, habillés avec des joggings, baskets, casquettes, petits sacs en bandoulière, doudounes, de grandes marques mais très différents des tailleurs, costumes, mocassins, manteau bleu marine, enfants tirés à quatre épingles, qui peuplent ce lieu. On a le sentiment qu’ils n’ont rien à faire de cet écart, qu’ils sont venus pour ce faire plaisir, qu’ils savent parfaitement ce qu’est cet endroit, quelles sont ses spécialités et qu’ils sont heureux d’être là. Ou bien, on peut penser aussi qu’ils ont l’habitude de cette attitude entre mépris et condescendance, qu’ils vont souvent dans des lieux où ils ne sont pas attendus et qu’ils ont décidé de ne pas s’en offusquer et de profiter des moments qu’ils s’offrent. Leur libre gourmandise est belle et joyeuse. 

Un jour, une description, le 16 octobre

18 mars 2021

Deux dames assises côte à côte à la table d’un restaurant, en face, leurs maris. Le restaurant est le restaurant d’un hôtel qui accueille aussi des clients extérieurs. Il est installé dans les anciennes écuries d’un petit château. Tout est rustique : les anciennes mangeoires ont été conservées, les licols, les outils, les tables, les bancs, les poutres et même un peu de paille veulent donner l’impression que nous sommes installés dans les écuries. Pourtant sur la côté de la salle on voit des frigos et devant nous, une immense vitrine comme chez un commerçant avec des morceaux de viande dedans et derrière une ancienne cheminée allumée. Nous sommes entre l’écurie, la boucherie et la rôtisserie. Les deux couples sont des habitués et ils regardent la carte avec attention sans sembler étonnés des menus très copieux. Ils commandent tous les quatre le menu avec foie gras, cassoulet et dessert qui est le plus abondant et lourd. Au début les deux dames se sont bien dits qu’elles allaient prendre le saumon, et puis non. Alors que la plupart des clients ne finissent pas leurs assiettes, ils vont tout manger avec une grande gourmandise. Ils mangent avec application et un vif plaisir. Les deux dames rient de ce “gueuleton” et ils trinquent en disant “il faut profiter”. Ils avaient bien raison.

Un jour, une description, le 15 octobre

17 mars 2021

Une poste où chacun, masqué, a fait la queue pour pouvoir entrer, s’est lavé les mains avec du gel et se tient sagement à distance des autres personnes. Une femme âgée est assise sur une chaise. On a vu qu’elle a fait longuement la queue dehors avant que quelqu’un lui dise qu’elle pouvait entrer sans la faire étant donné son âge. Elle a dit que ça allait mais la personne qui voulait l’aider a appelé le vigile qui a dit à la dame d’entrer, lui a demandé ce qu’elle venait faire et lui a désigné une chaise près du guichet correspondant. Elle tombe sur la chaise avec un soulagement manifeste après avoir longuement remercié et s’être excusée auprès de tous ceux qui faisaient la queue. Elle a l’air épuisée et on se demande pourquoi elle n’a pas osé demander de pouvoir entrer et pourquoi cela a mis tellement de temps avant que quelqu’un l’aide à le faire. Elle souffle et prend son sac, enlève son masque et nettoie ses lunettes pleines de buée. Tout à coup, elle s’affole et se met à chercher son masque partout. Quand le vigile lui dit qu’il est accroché à son bras, elle le met et semble à nouveau devoir reprendre son souffle. L’employée des postes l’appelle, c’est à elle. Elle se lève lentement. Elle oublie sur la chaise son foulard et ses clés. Quelqu’un les lui apporte. On reconnaît en elle cette inquiétude démultipliée par l’âge que l’on a tous quand on doit faire quelque chose d’officiel, quelque chose qui nous renvoie à l’école, à la banque, à la police, à la justice et qui nous fait oublier notre passeport, perdre nos clés, tomber notre sac, nous affoler. 

Un jour, une description, le 14 octobre

16 mars 2021

Une femme déjà âgée autour de soixante-dix ans. Elle passe ses journées à entretenir le petit château auvergnat de la famille de son mari dans lequel elle vit avec lui. Elle taille, coupe, plante et tente de mettre en forme un jardin à la française, des buis ordonnés, une idée du jardin qui est très décalée de la réalité campagnarde et agricole des alentours. Le château et surtout le jardin semblent être hors sol. On se dit qu’elle ne regarde pas autour d’elle, alors qu’elle est originaire de ce territoire, tout à son effort quotidien tendu vers une idée du château et de ses châtelains. A contrario, son mari travaille aussi dans ses terres mais avec quelque chose de paysan dans les gestes et les outils, un tracteur, un feu pour le bois ramassé, le traitement des arbres. On ne sait s’ils font tout cela par goût ou pour l’image que, régulièrement, ils peuvent offrir à leurs invités lors de garden-party pendant les beaux jours. Certainement, les deux. Leur famille vient régulièrement et le château devient une simple maison de vacances avec une piscine, des éclaboussures et des cris, des disputes et des jeux. C’est à la fois bruyant et rassurant. Quand ils partent, le travail reprend, presque une discipline. 

Un jour, une description, le 13 octobre

15 mars 2021

Une petite fille de six ans environ. Elle attend à la poste avec sa maman. Elle joue seule à côté d’une chaise en plastique vide sur laquelle elle a essayé de monter mais elle est trop petite. Elle a une poupée à la main. On reconnaît une Barbie habillée d’une mini robe rose avec une petite ceinture dorée, de sandales à talons aiguilles blanches. Elle a une coiffure avec de longs cheveux noirs que la petite fille lisse régulièrement. Le corps encore potelé de l’enfant, la rondeur de ses joues et la simplicité de sa tenue contrastent avec le corps fuselé de la poupée qui mime un corps d’adulte modélisé. A un moment donné, elle met la Barbie sous son tee-shirt et fait sortir la tête et les bras par son col. On voit donc la tête de la petite fille et, à la hauteur de son cou, la tête de la Barbie et enfin, le corps de la Barbie, notamment ses seins proéminents, moulés par le tee-shirt serré de l’enfant. Cette vision est presque monstrueuse, comme un hybride, une greffe absurde. La petite fille semble très contente d’avoir trouvé cette manière de mettre sa poupée et elle parade un peu dans la poste, le torse en avant. Elle est fière de cette trouvaille qui nous met mal à l’aise. 

Un jour, une description, le 12 octobre

12 mars 2021

Une dame dont on n’arrive pas à déterminer l’âge. On revient après longtemps dans une ville où l’on a vécu une vingtaine d’années. On s’installe au café où l’on avait l’habitude de venir sur une place avec des grands parasols. On commande une noisette et un verre d’eau à la même serveuse et en face de nous, on voit exactement le même groupe de personnes. On a l’impression qu’aucun d’entre eux n’a changé. Trois hommes et deux femmes qui sont très familiers les uns avec les autres, mais dont on a jamais pu comprendre s’ils avaient des liens autres que le fait de se retrouver là, deux fois par jour en fin de matinée et en fin d’après-midi. On calcule et on se dit qu’ils doivent tous avoir autour de soixante-cinq ans aujourd’hui. Une des deux femmes est singulièrement inchangée. Elle porte les mêmes habits moulants et colorés, les hauts « stilettos », les longs cheveux noirs raidis et la frange épaisse, les grandes lunettes de soleil et le maquillage appuyé. Surtout on retrouve son absence complète d’expression. Elle a toujours le même visage figé qui ne sourit jamais. Pourtant les autres parlent vivement, sont au contraire très expressifs, ils rient beaucoup. Elle parle souvent mais avec toujours une certaine froideur. On dirait qu’elle se protège de cette familiarité quotidienne qui pourtant la conduit jour après jour à venir là. Elle se met à distance tout en étant des leurs. Une forme d’élégance.  

Un jour, une description, le 11 octobre

11 mars 2021

Une salle très austère et vaste de restaurant dans laquelle est servi le petit déjeuner. A chaque chambre de l’hôtel correspond une table et les commandes ont été passées la veille car les buffets ne sont pas autorisés. D’ailleurs, certains clients arrivent avec un masque et l’enlèvent à table, d’autres non. Immédiatement, cela crée de manière complètement instinctive deux clans, ceux qui sont arrivés avec le masque se regardent quand quelqu’un arrive sans, et vice et versa. Mais suivant les situations, on peut sentir d’autres complicités se nouer, entre les jeunes qui lisent le journal sur leur téléphone et les vieux qui s’emparent du « Figaro », entre les français et leur petit-déjeuner traditionnel de viennoiseries, pain, beurre confiture et café et les anglais avec leur porridge et leur thé, entre les couples sans enfants et ceux qui ont des enfants, entre ceux qui sont près des fenêtres et ceux qui sont au fond, ceux qui aiment qu’il y ait la radio en fond sonore et ceux que cela gêne… Une toute petite communauté d’une heure avec déjà toutes ses tensions et ses alliances. 

Un jour, une description, le 10 octobre

10 mars 2021

Deux hommes assis au bord de la mer au plus près des vagues. Ils boivent une bière et fument une cigarette en parlant tranquillement installés chacun sur un tronc d’arbre. Autour d’eux, la plage d’habitude si policée de cette ville touristique semble dévastée. Les galets forment des monticules épars, les douches en sont recouvertes et n’émergent que les pommeaux ridicules des amas gris. Des troncs d’arbres sans feuilles encombrent la plage, d’autres flottent encore, on voit aussi d’énormes racines émerger de temps en temps comme si leur tronc était enfoncé dans la mer. Sinon, partout des bouts de bois, des bouts de plâtres, des pierres, des briques cassées et mêmes des fragments de parpaings. On voit aussi des éléments de mobilier, un tiroir, un pied de table, des bouts de tissus. On sait que tout cela vient de la vallée dévastée, que ce sont des fragments des maisons qui ont été emportées par l’eau et que la mer recrache peu à peu et dépose strate après strate. Les deux hommes semblent complètement indifférents à tout ce qui les entoure. C’est comme s’ils s’étaient dit que ces troncs posés là étaient bien commodes pour s’asseoir sur cette plage dure. Une manière de faire fi des relents de drame, une bravade peut-être. 

Un jour, une description, le 9 octobre

9 mars 2021

Une dame âgée dans un hôtel modeste. C’est le moment du petit déjeuner. Elle se dirige en souriant vers le buffet et regarde tout d’un air gourmand en souriant. Elle prend une assiette qu’elle remplit de manière très soigneuse de fromage, de jambon, de pain, de beurre, elle emplit un bol de fromage blanc avec des céréales puis elle revient chercher un bol de salade de fruits frais. Pendant ce temps, on lui a servi un thé. Une habituée. Elle mange posément et regarde souvent par la verrière les oiseaux que l’on entend, les passants ; elle semble curieuse de tout. Elle est seule mais en semble tout à fait heureuse et ne cherche pas particulièrement à nouer des contacts avec ses voisins. Elle parle gentiment à ceux qui tiennent l’hôtel et qui visiblement la connaissent bien mais sans plus. Elle dit juste en riant que, comme tous les matins, elle a dû mettre un peu de sable par terre, qu’elle a beau se frotter les pieds, il reste toujours un peu de sable. Effectivement, on voit sous sa table ses pieds ensablés dans des tongs. Elle nous fait penser aux enfants qui entrent en courant plein de sable dans les maisons l’été et laissent partout ce crissement particulier des vacances. 

Un jour, une description, le 8 octobre

8 mars 2021

Une silhouette petite avec toujours un sac à dos sur le dos ou, le plus souvent, sur l’épaule. Ce jeune homme marchait toujours trop vite. On ne sait si c’est parce qu’il avait le sentiment d’être pressé ou si c’était pour fuir. Dans ce lieu d’apprentissage où une grande attention est accordée à chacun, il avait sans cesse le sentiment d’usurper sa place, qu’il lui fallait représenter ce qui sont abandonnés au dehors. Ce questionnement lancinant l’empêchait de travailler, d’avancer sinon par des à-coups trop brutaux, nous laissant tous un peu groggy et inquiets. Il ne pouvait pas être là s’il ne trouvait pas le moyen de s’occuper des autres. Quand on lui demandait : quels autres ? Il énumérait des listes de gens, de situations, qui le touchaient. Mais il ne se confiait jamais sur lui, sur sa situation. Souvent, on se demandait s’il avait un toit. Il arpentait l’école et s’occupait de ses camarades, il venait alerter, témoigner, râler, demander de l’aide, il avait pris le rôle de la vigie. On pensait que quelque chose s’était équilibré en lui. Mais non. Il a juste oublié de s’occuper de lui. Il n’a pas voulu d’aide. Et il est parti. 

Un jour, une description, le 7 octobre

5 mars 2021

Un restaurant, une terrasse qui donne sur la mer ou plutôt sur un bassin, la marée monte. Il y a du monde et le restaurant est vite complet. Quatre femmes s’installent à la seule table restée vide, elles semblent habituées et savent tout de suite ce qu’elles vont commander comme coquillages. Leur discussion tourne autour de l’apéritif qui semble très important pour elles. L’une veut les inviter mais se ravise, une autre demande si elles ne feraient pas mieux de commander une bouteille de blanc tout de suite, l’autre dit que non, elle veut un kir, la discussion roule et on se rend bien compte que c’est leur manière à elles de s’installer ensemble dans le repas. Quand on les regarde mieux, on se rend compte qu’elles sont de générations très différentes et que peut-être, il y a là, la mère et la fille, la tante et des nièces. En tous les cas, on sent entre elles une grande complicité, des amitiés, des temps partagés. L’une était arrivée avec un foulard noué sur sa tête et on s’était demandé si cela cachait une calvitie, une absence totale de cheveux et on a pensé aux effets d’une maladie. A un moment donné, les autres ont commencé à dire qu’elles avaient trop chaud et une première a pris un foulard dans son panier et l’a mis autour de sa tête, en riant, les autres ont suivi. Elles étaient toutes les quatre coiffées de ces turbans colorés plus ou moins bien noués. On ne sait si c’est pas solidarité avec celle qui en avait déjà un ou bien juste parce qu’elles avaient envie de faire cela ensemble. Elles faisaient ressembler ce moment à un tableau, une scène de femmes enturbannées autour d’une table avec des couleurs vives et des formes précisées dans leurs moindres détails. 

Un jour, une description, le 6 octobre

4 mars 2021

Une scène à Paris sur un grand boulevard. On est assise à la terrasse d’un café avec une amie, on parle et puis une image s’imprime dans votre regard sans que vous l’ayez vraiment vu, comme quelque chose de furtif qui vous saisit. On continue la conversation et d’un coup, on se demande ce qu’on a vu et on regarde mieux. On voit un homme en slip en train de pisser dans une poubelle et les gens qui passent se retournent. En réalité, il n’est pas en slip mais il porte aussi un short à mi-jambe et il nous semble qu’il cherche dans la poubelle car il en sort victorieusement un journal et se met à le lire. On ne sait pas pourquoi mais cet homme n’a pas l’air d’un clochard. Pourtant il titube, il est sale, hirsute mais quelque chose dans sa tenue, dans sa façon de lire le journal nous intrigue. En regardant les autres autour, on se rend compte qu’il tient et lit Monde du soir exactement comme les autres hommes en costume et cravate nombreux dans ce quartier. Il le lit pendant un bon moment vraiment, au milieu de la rue. Et quand il part, il le replie sous le bras comme tous les autres. Quelque chose d’une autre vie, des gestes qui ressurgissent et qui rattrapent un homme perdu. 

Un jour, une description, le 5 octobre

3 mars 2021

Sur une plage pendant la marée basse. Deux jeunes parents jouent avec leur petit garçon qui marche mais est encore un peu titubant sur ses pieds. Ils font des pâtés avec un seau, puis un petit château dans un jeu de rôles bien défini : le père construit, le petit garçon piétine en riant les constructions et la mère filme ou photographie avec un téléphone portable. Quand la mère s’éloigne, le petit garçon est inquiet, il la cherche des yeux autour de lui, nous voit, voit d’autres gens et se met à pleurer. Son père n’a pas bougé. Il sort son téléphone portable de sa poche et quand il est prêt, il montre sa mère à l’enfant. Elle lui fait des signes et il se précipite en courant comme il le peut, toujours au bord de trébucher, vers elle. Quand on retrouve les parents plus tard, ils sont à la terrasse d’un café, le petit garçon endormi dans une poussette à côté d’eux. Ils regardent leurs images sur leurs téléphones, les comparent, et le père montre fièrement son petit film. La mère le regarde et lui dit « mais il pleurait ». Le père semble interloqué. Ils ne voient pas le même film.

Un jour, une description, le 4 octobre

2 mars 2021

Une femme qui paraît avoir une soixantaine d’années à la terrasse d’un café. Elle est tellement apprêtée qu’elle en paraît déguisée. Tailleur serré, très hauts talons, coiffure blonde laquée, maquillage outrancier, tulles, dentelles et de nombreux bijoux, lui font un costume dont elle joue et qui fait partie du personnage. Elle s’approche en marchant lentement vers une table où deux messieurs de son âge boivent un verre de vin blanc. Elle les salue sans les embrasser et garde son masque et ses volumineuses lunettes de soleil pour parler avec eux. Ils échangent à propos du marché, d’amis en commun, ils se donnent des nouvelles, et puis l’un des deux la complimente sur sa tenue et sa forme. Immédiatement, elle se redresse, leur sourit et se met à leur renvoyer la pareille, disant qu’il sont « encore verts pour leur âge », « qu’ils doivent faire des ravages ». Ils plaisantent comme cela pendant un moment mais on sent bien qu’elle est sérieuse alors qu’eux sont au bord de la moquerie. Elle les salue et s’en va en faisant très attention à sa démarche comme si elle était sûre qu’ils vont la regarder partir. Quand elle s’est éloignée, l’un des deux hommes dit « on aurait quand même pu lui proposer de s’assoir avec nous, non ? », l’autre répond « mais, ça va pas la tête ? ». Ils rient mais avec une certaine gêne sentant la cruauté passagère dont ils ont fait preuve et qu’il veulent vite oublier. 

Un jour, une description, le 3 octobre

1 mars 2021

Un couple dans un petit hôtel. Ils doivent avoir une soixantaine d’années, peut-être plus. Il est habillé d’un pantalon de jogging bleu clair, d’un pull ample bleu foncé et à des pantoufles aux pieds. Il n’est pas grand, mince, un peu voûté, il marche lentement. On voit ses yeux très bleus au-dessus du masque et ses cheveux blancs coupés courts. Elle est plus alerte, plus vive dans ses mouvements, c’est elle qui mène la danse. Elle est plus petite que lui, très mince, elle est vêtue d’un jogging vert bouteille en velours, et, aux pieds, elle porte des baskets mais en tissu molletonné. Elle a des yeux bleus et des cheveux gris frisés qui bouclent autour de son visage. C’est elle qui lui prend la main pour aller voir le buffet du petit-déjeuner après avoir commandé un café au lait chacun. Il a l’air comme perdu devant la multitude de choses à manger et il ne dit rien. Elle lui jette un coup d’œil et commence à nommer toutes les choses, à faire des commentaires, à s’exclamer sur la présence de produits salés. D’un coup, comme s’il se réveillait, il se met à participer à ce qui devient une conversation. On sent combien elle en est contente ou même, soulagée. Quand on les voit croquer dans leurs simples biscottes beurrées, on pense que l’important était qu’il retrouve la parole, que le réel le percute avec la douceur des fruits, des confitures et des gâteaux amoncelés. Elle sourit en buvant son café, silencieusement. 

Un jour, une description, le 2 octobre

12 février 2021

Elle écrit tous les jours. Parfois, elle ne peut plus. Parce qu’il faut prendre le temps, être doucement aux aguets, regarder. Et puis quand la tristesse est là, il faut laisser porter le regard plus loin, reprendre son souffle, apprendre à se souvenir sans peine. Il faut aller regarder les paysages pour se consoler et revenir. 

Un jour, une description, le 24 septembre

11 février 2021

Un homme à l’entrée d’un restaurant, il est le placeur, celui qui fait patienter les gens et les amène à leur table quand elle se libère. Ce restaurant est situé au dernier étage d’un grand magasin parisien et de cette terrasse, on a une vue époustouflante. Il sait que l’on vient là pour cela et que l’attente est longue pour avoir accès à une table. Il demande combien sont les uns et les autres, il plaisante et garde sans arrêt un œil acéré sur les tables. Quand il s’aperçoit que des gens sont restés très longtemps et ont finit leur consommation, il fait un signe discret au garçon qui les sert pour qu’il aille à la table les relancer et leur faire comprendre qu’il faut partir ou re-consommer. Il a un aspect plutôt sympathique et débraillé qui contraste avec l’endroit et il est de loin le plus âgé de toute l’équipe exclusivement masculine qui sert. Un serveur n’arrive pas à faire partir deux clients qui sont depuis certainement très longtemps à une des meilleurs places. A plusieurs reprises, le placeur vient le voir et semble de plus en plus énervé. L’autre lui fait signe qu’il n’y peut rien. Le placeur excédé lui arrache la carte, va à la table des clients trop longs. On ne sait pas ce qu’il leur a dit mais ils partent l’air déconfit, presque honteux. Le placeur parade comme un coq après cette pauvre victoire. 

Un jour, une description, le 23 septembre

10 février 2021

Une femme qui pose devant la mer. On ne comprend pas pourquoi elle se met comme cela car on voit essentiellement derrière elle une barrière, un banc, le montant d’un panneau alors que si elle va un peu plus loin, la mer est tout à fait visible. On se rend compte que la mer lui importe peu mais qu’elle veut être photographiée par son compagnon devant, non pas la mer, mais la promenade célèbre devant la mer. On se dit que cette photo va nourrir les réseaux sociaux, va être envoyée à des amis. Alors toujours les mêmes gestes : elle prend la masse de ses cheveux ondulés et les met tous sur le côté de son visage en les faisant bouffer, elle frotte ses lèvres entre elles pour qu’elles brillent mieux, elle vérifie que son décolleté est toujours plongeant et son short bien en place, puis elle tourne légèrement son visage du côté où ne sont pas ses cheveux, son visage est maintenant légèrement de trois-quart, elle regarde droit vers le téléphone, elle relève légèrement sa jambe gauche et se met sur la pointe du pied, genou replié, et, enfin, elle sourit. Elle est prête. On pense aux starlettes en maillot de bain posant de la même façon sur la Croisette voisine dans les années soixante. Comme si les images toutes faites avaient survécu, les mmes clichés sans cesse recommencés.

Un jour, une description, le 22 septembre

9 février 2021

Un homme avec un regard vert. Les yeux sont verts mais le regard aussi avec une pointe de jaune ou de doré suivant l’humeur ou le jour. Il est dans son atelier, un tout petit endroit où il travaille tous les jours quand il ne va pas à l’école apprendre à des jeunes gens ce que cela serait d’être artiste. Ou plutôt ce que cela serait de faire de l’art, de faire les gestes, de penser à ça, aux formes, de choisir comment on commence, comment on continue, comment on finit. Il montre avec presqu’une certaine timidité ce qu’il fait. Des peintures, des volumes, des choses entre les deux, il parle de comment il aimerait les montrer, du dispositif qu’il voudrait mettre en œuvre pour rendre les choses qu’il fabrique visibles, lisibles peut-être. On voit que quand il parle de cela, montrer, quelque chose en lui se tend et s’affaisse en même temps. Montrer, il le fait si peu, si rarement. Comme beaucoup, certes, mais ce n’est pour cela que c’est moins douloureux. Il ne veut pas que cela se transforme en tristesse, ou pire, en aigreur. Alors il en joue, il en sourit. Mais quand il a fait sa dernière exposition, il était si fier, si pleinement heureux qu’on se souvient de son sourire avec les larmes aux yeux. 

Un jour, une description, le 21 septembre

8 février 2021

Un homme à la terrasse d’un restaurant dans une ville d’Italie. En face, une femme de son âge. On ne peut dire qu’ils sont ensemble ou non, ils sont amis, de la même famille mais on sent qu’ils sont très familiers l’un de l’autre. Elle semble assez grande même assise. Elle est très brune avec des cheveux longs retenus en une queue de cheval basse. Elle a un visage rond avec un menton pointu, des yeux bruns, et une bouche très ronde et maquillée de rouge vif. Elle porte une robe rouge avec des grands fleurs blanches, serrée à la taille et de sandales blanches plates. Pendant tout le repas, elle est très près de la table et elle parle beaucoup avec de grands gestes comme si elle cherchait à convaincre l’homme en face. Lui, au contraire, se tient très loin de la table, les jambes croisées, avec un petit sourire ironique aux lèvres et n’ouvre pas la bouche sinon pour passer commande. Au moment du café, la situation s’inverse, il prend la parole longtemps et s’avance fortement et elle, peu à peu, recule. On ne sait ce qui se joue entre eux mais on sent que la parole est portée avec force, peut-être même, violence et que tout le corps se projette en avant pour asséner ou en arrière pour encaisser. Un combat de boxe. 

Un jour, une description, le 20 septembre

4 février 2021

Un petit garçon de dix ans assis à une grande tablée dans un restaurant. On comprend que c’est une famille, peut-être allemande, en vacances, très aisée. On repère des frères et sœurs, des époux et des épouses et sept enfants de tous les âges et un couple beaucoup plus âgé, les parents. Au fond, il y a les adultes et devant les enfants avec deux adultes qui dont l’interface. On remarque cet enfant, un jeune garçon de dix ans, qui prend la parole et s’adresse directement aux adultes contrairement aux autres enfants qui parlent entre eux, jouent. Pourtant il ne semble pas le plus âgé mais démontre d’une autre assurance et on l’impression que les autres enfants trouvent cela normal, lui laisse ce rôle-là. Quand le jeune garçon commence à discuter âprement avec l’homme à côté de lui pour pouvoir commander ce qu’il veut, et pas des plats qui lui seraient imposés, et qu’il le demande pour tous les enfants. On sent que toute l’attention des enfants est tournée vers lui. Leur « leader ». Quand, après un conciliabule, il obtient gain de cause, il exulte mais pas trop et dit posément que pour lui ce sera des « spaghetti » maison aux truffes. On voit son grand-père le regarder avec un sourire aux lèvres entre fierté et tendresse. On se dit qu’il pense que c’est lui, cet enfant de caractère, l’héritier. 

Un jour, une description, le 19 septembre

3 février 2021

Une grande place dans une grande ville. Cette place est sans cesse occupée, lieu de manifestation, de résistance, de rassemblement, de violences mais surtout d’une occupation citoyenne sans cesse renouvelée qui ne dit pas toujours son nom. Jeunes gens qui font du skate, vieilles personnes assises sur les bancs, terrasse du seul bar qui est au centre, groupes assis par terre qui boivent, écoutent de la musique, font de la musique, fument de l’herbe, discutent âprement. Et puis il y a ceux qui dansent. Quelques pliants de plage, une vague sono qui grésille, et des couples se lancent dans la danse. Tango, salsa, valse, flamenco, certaines danses entraînent les simples passants, d’autres s’admirent de loin. Toutes donnent immédiatement un sentiment de fête et de liberté. Danser sur une place en ce moquant éperdument du regard des autres, juste pour le geste, juste pour le faire ensemble. Se rappeler des bals, de l’excitation et des rires, des danseurs maladroits et de ces moments si émouvants où on pouvait voir nos parents, nos grands-parents, danser. Le souvenir d’une joie douce et chaloupée renouvelée, là. 

Un jour, une description, le 18 septembre

1 février 2021

Une femme à la terrasse d’un grand café parisien. Le midi, le restaurant est presque plein avec de nombreuses personnes du milieu culturel car il est à proximité d’un grand musée. Les tenues sont donc chics mais plutôt décontractées avec en plus quelques excentricités, chapeaux, « tabis » japonaises, montures de lunettes très épaisses et à motifs, mais sinon, en cette saison, les différentes tonalités de lin gris teintent élégamment la terrasse. Une femme arrive. Elle est différente, presque d’un autre temps, dans ses habits noirs moulés, ses sandales vertigineusement hautes, des éclats de brillance, son chignon serré et un maquillage noir et rouge. Quand elle traverse la terrasse, elle est regardée entre admiration et surprise, comme une image de magazine mais un peu passée. Elle va rejoindre un homme qu’elle embrasse sur la joue et il commence à parler vivement. Ils commandent puis elle téléphone, ils écoutent ensemble l’interlocuteur, ils sont concentrés. On voit qu’elle a enlevé ses chaussures et qu’elle frotte ses pieds l’un contre l’autre. Quand les plats arrivent, elle mange un « poulet-purée maison ». Un plat régressif. En la voyant prendre des grandes bouchées de purée et jouer avec ses pieds nus, on pense à une petite fille en vacances. Son costume est oublié. 

Un jour, une description, le 17 septembre

30 janvier 2021

Un homme et une femme qui marchent dans la rue. Ils sont côte à côte, ils avancent d’un même pas assez vif. Lui est habillée plutôt sportivement d’un jean et d’un tee-shirt et de chaussures de marche, il a une soixantaine d’année, les cheveux gris et courts. Son visage est marqué par des rides profondes. Elle est plus jeune, les cheveux bruns frisés et porte un chemisier gris, simple, rentré dans une jupe claire et des petits talons compensés. On les trouve plutôt mal assortis mais leur pas s’accordent parfaitement. Ils ne se touchent pas et sont assez près l’un de l’autre. A un moment donné, ils regardent en même temps, sur la droite, la même chose, d’un même mouvement brusque de la tête. On trouve quand même étrange qu’ils ne se soient pas dits un mot alors on les suit du regard. Ils s’arrêtent à un feu attendant pour traverser toujours dans un mouvement identique. Ils traversent. A ce moment là, d’un geste presque imperceptible, il lui prend la main. Elle ne réagit pas, ne se tourne pas vers lui, mais sourit. Ils avancent en se tenant plus franchement la main et, d’un même mouvement, tournent la tête l’un vers l’autre et ils sourient ensemble au bord du rire. Peut-être s’étaient-ils disputés, peut-être étaient-ils plongés dans leurs pensées, peut-être viennent-ils de voir la même chose qui les amusent. On les suit des yeux. Cet accord muet entre eux nous fait du bien. 

Un jour, une description, le 16 septembre

29 janvier 2021

Deux enfants descendent un long boulevard. On les remarque car ils sont seuls sur ce boulevard sinistre qui mène à un grand carrefour en rond-point sans feu ni passage protégé. Ils sont encore petits, ils doivent avoir une dizaine d’années. Il se dirigent clairement vers quelque part mais tout en marchant d’un bon pas, ils flânent, jouent, parlent, parfois l’un va plus vite que l’autre. Ils semblent très bien connaître leur chemin mais ils ne viennent pas de l’école ou du collège car c’est encore l’été. Ils sont habillés légèrement, l’un est brun, très bronzé et l’autre est plus clair de cheveux comme de peau. Quand ils arrivent près du panneau de signalisation qui annonce aux voitures le carrefour, le garçon brun, sans rien dire, sans prévenir, prend son élan, saute et touche de la main le panneau dans un claquement sec. Et continue comme si de rien n’était. L’autre garçon a poursuivi son chemin sans même lever la tête mais sourit. On a l’impression qu’ils ont même continué leur conversation. On les croise plusieurs fois au même endroit et chaque fois, le jeune garçon brun a fait cela. On ne sait si c’est un rituel, un jeu, une manière de montrer son agilité, un défi sans cesse relevé. On ne sait si, quand ils sont seuls sur le même chemin, le garçon brun le fait quand même ou si le garçon blond ose le faire à sa place. On pense que ce geste va compter dans leurs souvenirs communs d’une amitié.

Un jour, une description, le 15 septembre

28 janvier 2021

Deux jeunes filles ou jeunes femmes sur une plage privée. Elles passent la journée à se prendre en photo avec leur « iphone ». Pour cela elles se changent plusieurs fois, jouant avec les maillots, les chapeaux, les lunettes de soleil, les « foutas », les sacs en osier avec « j’aime Nice » brodé dessus, des écharpes en coton très légères dont elles se drapent, des petits hauts juste enfilés, etc.. toute une panoplie préparée qu’elles sortent de leurs deux grands sacs de toile. Chaque fois qu’elles prennent des photos, elles prennent des poses que l’on trouve très vulgaires et, de fait, banales et qui nous font entrer dans une émission de télé-réalité. Ensuite, elles les regardent, les commentent avec des grandes exclamations et les retravaillent avec des filtres puis les postent sur leur compte « instagram ». Puis elles recommencent tout en jetant un œil aux réactions que suscitent leurs « posts » et en comparant sans cesse leur nombre de « like ». Elles passent la journée comme cela, elles n’ont pas quitté leur matelas sinon pour aller aux toilettes et pour aller déjeuner rapidement. Pour elle, la mer n’est qu’une toile de fond à leurs images stéréotypées de petites filles qui voudraient devenir des vedettes et qui jouent à la poupée.

Un jour, une description, le 14 septembre

27 janvier 2021

Un maître d’hôtel dans un établissement plutôt chic en Italie. On croise plusieurs membres du personnel, on a l’impression qu’ils sont très nombreux, une à l’accueil, un jardinier, une personne pour les bagages, un cuisinier, une serveuse. Le soir, nous sommes servis par un maître d’hôtel qui joue à la perfection son rôle, presque trop, il est accompagné d’une jeune serveuse qu’il traite avec ce qu’il faut de condescendance pour que les clients comprennent bien qu’elle est sous ses ordres. Notamment quand il s’agit de servir un plat à partager, il la pousse presque pour le faire, les sourcils froncés comme si elle en était incapable et que c’était son devoir de le faire à sa place. Le lendemain, au petit déjeuner, cette hiérarchie est encore plus marquée et devient gênante. Pendant la journée, on croise à plusieurs reprises des employés et on se rend compte peu à peu, que ce sont les mêmes qui changent de costumes et de tâches. Le maître d’hôtel est jardinier, la serveuse à l’accueil, celui qui s’occupe des bagages gère la piscine et son bar. Ils sont peu nombreux en réalité et chaque fois qu’ils vous croisent dans un costume différent, ils vous saluent comme s’ils ne vous avaient pas encore vu et comme s’ils n’étaient pas reconnaissables. Une sorte de commedia dell’arte à notre intention. 

Un jour, une description, le 13 septembre

26 janvier 2021

Deux petits garçons avec leur père à la plage. Le plus petit doit avoir trois ou quatre ans, il a des brassards contrairement à comme son frère, plus grand, qui a environ sept ans. Il sait que son père veut qu’il apprenne à nager mais cette mer là, lui fait peur. Il sait qu’elle est tout de suite profonde et il voit bien que son frère plus téméraire barbote, n’a pas pied et boit régulièrement la tasse. Et puis la plage est très en pente avec des galets qui roulent et font mal aux pieds, on glisse et on tombe. Il ne peut pas entrer et sortir de l’eau en courant facilement comme sur une plage de sable ou une piscine. Il sent que son père n’est pas content parce qu’il ne veut pas aller dans l’eau. Ce qu’il aime bien sur cette plage, ce sont les galets, en choisir des jolis, chercher ceux qui sont en verre, faire des piles en équilibre, mais il sait qu’il ne doit surtout pas les jeter. Il cherche un joli galet pour l’offrir à son père et en trouve un tout rouge. Son père le remercie et lui explique que ce galet doit venir d’une brique que la mer a cassée, roulée jusqu’à ce qu’il ait cette jolie forme toute ronde. Il est encore plus impressionné par cette mer et regarde son père aller à l’eau avec inquiétude. Il décide de surveiller son frère et son père pour qu’ils ne se noient pas. Il le fait avec beaucoup de sérieux. Il grandit. 

Un jour, une description, le 12 septembre

25 janvier 2021

On remarque cette jeune femme anglaise avec sa famille au repas du soir dans un bel hôtel. Elle est très brune plutôt petite et ronde dans une famille de grands blonds. Elle est habillée de manière voyante en jaune et orange, très maquillée, et courte vêtue. Elle diffère beaucoup du reste de sa famille habillée plutôt dans un esprit « bohême-chic » anglais avec des habits amples en lin, des couleurs pastels et ses jeunes sœurs portent des longues robes simples bleu clair et rose pâle. La jeune femme semble complètement à part aussi bien par son allure que dans son attitude. On remarque néanmoins que sous le maquillage épais, elle a les même yeux bleu vert, perçants, que son père. On ne sait si elle boude ou si elle est triste mais elle ne prononce pas quasiment pas un mot et s’adresse seulement un court instant à son père assez sèchement. Elle met sans cesse comme un espace entre eux et elle. Le lendemain, elle est seule à la piscine et quand elle se met à l’eau elle est comme transformée. Elle nage admirablement bien et sourit en nageant. Elle nage longtemps, en effleurant l’eau en un va et vient d’une grande douceur. Elle est à sa place. 

Un jour, une description, le 11 septembre

22 janvier 2021

Un homme accoudé à un comptoir. Nous sommes dans le plus grand marché de Florence, il y a des touristes dont beaucoup de français qui viennent y manger. On a remarqué qu’un certain nombre d’hommes italiens regardaient avec insistance les jeunes femmes. Ils sont adossés aux différents comptoirs et commentent en italien la tenue, l’allure de ces jeunes femmes souvent de manière très vulgaire. Quand on va chercher un cappuccino, on se retrouve près d’un de ces hommes qui lui, semble à priori sympathique. Il est habillé d’un sarouel, d’un tee-shirt et de « biskenstock ». On se dit qu’il n’a pas l’allure des machos italiens moulés dans leurs jeans que l’on a croisés. Pourtant son visage est fermé et il vitupère. Contre les femmes françaises. On comprend qu’il a essayé d’en aborder et qu’il s’est fait rembarrer voire moquer. Il est hors de lui et ne cesse de répéter qu’il est un homme, lui. Il les traite de tous les noms les accusant de faire exprès de se mettre à moitié nues pour exciter les hommes, qu’on ne se moque pas de lui comme ça. On voit la haine dans son regard, on voit la frustration, l’incompréhension. Il venait pour chasser et il est bredouille, pire, humilié par le gibier. 

Un jour, une description, le 10 septembre

21 janvier 2021

Une petite fille sur une place dans une petite ville d’Italie. Sa mère et une autre jeune femme parlent en buvant un café, elle a un coca avec une paille posée sur la table et elle vient régulièrement boire en écoutant un peu ce qui se dit. Chaque fois, elle s’éloigne un peu plus pour se retrouver au centre de la place, entourée par les vitrines qui sont comme autant de miroirs. Elle regarde ses multiples reflets et tend ses sandales dorées, les tournent pour qu’elles brillent. Elle est habillée avec une petite robe un peu bouffante et on se dit qu’elle va se mettre à tourner sur elle-même pour la gonfler. Elle ne fait pas cela du tout. Elle se met à danser en imitant des chorégraphies très sexuées, puis elle se met à mimer une adulte en colère et enfin, elle se tortille en jouant avec les cheveux de son chignon et en faisant semblant de parler à une caméra. Pendant tout ce temps quelques personnes sont passées et l’ont regardée mi-amusées, mi-choquées mais ni sa mère, ni son amie ne se sont tournées vers elle. Elle s’arrête net quand elle entend sa mère se lever et bouger sa chaise. Elle remet ses cheveux derrière ses oreilles, lisse sa robe et va les rejoindre en trottinant comme si elle revenait de jouer à la marelle. Elle doit avoir cinq ans, elle regarde la télévision, les clips, « you tube », elle se construit avec ces modèles-là. On est abasourdi. 

Un jour, une description, le 9 septembre

20 janvier 2021

Un homme attend dans la queue d’un laboratoire d’analyses médicales. Il y a beaucoup de monde et tous sont obligés d’attendre dehors car les espaces à l’intérieur ne permettent pas qu’il y ait une distance suffisante entre les gens. On est étonnée qu’il n’y ait pas de chaise notamment pour lui qui est en surpoids et a du mal à rester debout et pour une dame âgée. Il est grand et il s’arc-boute sur ses jambes pour tenir droit tout en faisant un petit mouvement de balancier. Il paraît placide mais il est en fait extrêmement nerveux, il triture son alliance sans cesse et a les yeux rivés sur la porte dans l’attente impatiente que quelqu’un sorte. Il n’aime pas être là car il sait qu’il vient faire des examens et que les résultats ne vont pas être bons. Il a l’habitude mais il le redoute quand même avec la cohorte de contraintes ensuite. Il aimerait savourer ce moment avant tout cela et il se surprend à avoir l’esprit ailleurs mais il est vite repris par une autre urgence, appeler sa fille qu’il a dû laisser seule chez eux. Il sent qu’elle est inquiète et il décide de l’appeler toutes les 5 minutes. Il ne sait pas si elle est inquiète parce qu’elle est seule ou parce qu’elle sait qu’il est malade. Les deux mêlés certainement. Il fait de son mieux pour la rassurer et, de faire cela, l’empêche d’avoir peur. 

Un jour, une description, le 8 septembre

19 janvier 2021

Une femme d’une cinquantaine d’années habillée d’une robe noire assez courte et décolletée. Elle tourne en rond. C’est un des pires jour de son année de travail, il y en a trois comme cela chaque année, toutes les années. Elle ne s’y habitue pas. Il faut qu’elle parle devant une assemblée d’élus et d’experts, il ne faut pas qu’elle se trompe, il faut qu’elle s’adresse à eux avec assurance et surtout, il faut qu’elle réponde aux questions. En plus, elle est terrorisée à l’idée que dans les textes qu’elle a préparés, qui ont été envoyés à tous les membres, il y ait des erreurs et qu’on le lui fasse remarquer en plein séance. Pourtant elle sait qu’elle n’est pas seule, que d’autres sont là pour la défendre ou répondre à sa place mais elle n’y arrive pas. Elle a essayé, comme on le lui a conseillé, d’avoir des rituels. Elle s’enferme dans son bureau et elle écrit, apprend et récite ce qu’elle doit dire, elle travaille avec sa direction pour anticiper les questions et préparer des réponses, elle prend un temps pour elle, elle se recoiffe, se maquille et finit de bien s’habiller. Elle va voir la salle et vérifie que tout est parfait. Elle sait que c’est comme une représentation, un mini théâtre. Mais elle aimerait tellement qu’il n’y ait aucune erreur, qu’elle n’ait rien à dire, qu’elle soit là juste pour observer. Comme chaque fois, elle est au bord des larmes quand l’heure approche, elle se sent bête. Chaque fois remonte ses terreurs d’enfant quand il fallait réciter devant toute la classe. 

Un jour, une description, le 7 septembre

18 janvier 2021

Un enfant, un petit garçon de quatre ou cinq ans. Il est en voyage avec ses parents et ses sœurs. Quand il arrive dans ce bel hôtel, il demande tout de suite à aller voir la piscine. Elle lui paraît immense et profonde. Il ne dit rien mais ne demande pas tout de suite à y aller. Son père décide de l’y emmener un peu plus tard dans l’après-midi. Quand il est en maillot, il demande ses brassards et tend déjà les bras. Son père ne les a pas et essaie de rassurer l’enfant en lui montrant qu’il a pied. On se demande si ce n’est pas une ruse pour que l’enfant apprenne à nager. Jamais l’enfant n’ira vraiment dans l’eau se contentant de courir au bord de la piscine, de tremper un pied. Quand ses sœurs arrivent, elles l’entrainent avec elles, il barbote mais il est toujours sur la défensive. Ce n’est que quand il revient plus tard avec ses brassards qu’il ira vraiment dans l’eau mais il est plus tard et le soleil est couché. On se dit qu’il va juste faire quelques brasses et ressortir mais pas du tout, il nage, ressort, nage, il se parle et s’encourage mais grelotte. Sa volonté de nager malgré le froid est étonnante comme si c’était pour lui le moyen d’oublier la frustration et la peur de cet après-midi. Il grandit. 

Un jour, une description, le 6 septembre

16 janvier 2021

Une église et, à côté, un cloitre. Dans cette ville touristique, il y a pourtant peu de monde. On en est soulagé car le cloitre demande qu’on écoute le silence et les petits bruits. Et puis du temps pour regarder. Ce cloitre n’est pas grand, il a deux étages d’arches dont on ne peut visiter que le bas. Comme souvent, au centre on a tenté une symétrie avec le puit au milieu et les quatre carrés, le buis autour. Mais les arbres ne sont pas disposés symétriquement, on voit des fleurs plantées mais aussi beaucoup de pots en terre cuite avec des fleurs, des petits tiges, ou même apparemment, rien, comme si un jardinier faisait là ses semis, ses essais. Les plantes en terre ou en pot sont arrosées mais la terre des quatre carrés non, car l’herbe y est sèche et jaunie. On entend des portes, on perçoit des voix masculines, des moines vivent là. Dans ce mélange entre l’ordre apparent et régulier de l’architecture et le presque désordre des plantations, une bêche. Elle est plantée dans la terre, prête à être utilisée. C’est le seul objet du lieu. Il nous donne d’abord le sentiment de déranger, de ne pas être à notre place, chez quelqu’un. Et puis, petit à petit, on se rend compte que cette bêche rend le lieu vivant, qu’on peut le regarder avec moins de révérence, que des enfants pourraient jouer là. Que ce bruit là ne serait pas gênant, mais plutôt rassurant. On pense au moine qui jardine, on aimerait le voir au travail mais on sait que certainement, ce n’est pas possible. Il travaille quand nous ne sommes pas là. Nous pouvons venir visiter quand il n ‘est pas là. La bêche serait alors l’objet du passage, le témoin, entre ces deux mondes.

Un jour, une description, le 5 septembre

15 janvier 2021

Un homme de quarante-cinq ans qui est dans un supermarché. Il est venu faire des courses avec un collègue pour le dîner du soir organisé après la réunion de travail qui réunit une dizaine de personnes. Il est chargé de choisir du vin. Il se dirige vers le rayon de son pas lourd qui contraste avec son look de jeune homme. Jean noir, tee-shirt, chaussures pointues et bagues de motard. Il essaie de se donner un peu d’allant mais il n’aime pas faire ça parce qu’il ne sait jamais quoi choisir. Il a en permanence un débat contradictoire dans sa tête : il va prendre du vin rouge, oui mais en bouteilles ou en cubi ? En même temps, beaucoup boivent de la bière, enfin, boivent de la bière avant le repas et du vin pendant, doit-il prendre les deux ? Mais ça fait beaucoup, ils doivent travailler. Il se remémore des soirées trop arrosées, les moments drôles, les inventions pas si idiotes dont on s’est resservi le lendemain, il en sourit, il adore se les raconter et les raconter dans le détail. Il reste un moment dans le vague et appelle son collègue qui finit par arriver, attrape un cubi et un pack de bières et va vers la caisse. Il n’arrive pas à admirer cette manière de faire, presqu’une brutalité pour lui même s’il en est quand même jaloux. Il ne veut pas être encore happé par ces questions-là alors il parle. Sans arrêt. 

Un jour, une description, le 4 septembre

14 janvier 2021

Un couple qui cherche une maison. Ils énoncent sous l’œil des caméras la liste de leurs demandes. Elle explique la cuisine ouverte, les chambres, le style moderne mais avec du cachet, les mètres carrés, les toilettes séparés, le petit jardin, lui reste muet. Puis après un silence, il dit lentement que ce qui est important pour lui est d’avoir un endroit pour bricoler, une garage, un appentis, mais pas une cave. L’agent immobilier lui demande si c’est vraiment un critère primordial, il répond que oui avec sérieux. Pendant les visites qui sont toujours filmées, on remarque qu’il s’intéresse peu aux maisons, à l’espace et répond laconiquement quand on lui demande ce qu’il en pense. Il s’anime quand on lui montre un garage, une annexe, une pièce, suivant les cas, pour bricoler. Sa femme aime beaucoup une maison où il n’y a pas cet espace supplémentaire mais il dit calmement mais fermement que c’est hors de question. Elle s’agace mais n’ose pas véritablement lui dire ce qu’elle en pense devant les caméras. Il réexplique que c’est vital pour lui d’avoir un endroit pour bricoler seul. Mais que sinon il peut aussi envisager de louer quelque chose, un garage, pas loin si ça rentre dans leur budget. Cette solution sonne comme une menace pour elle. L’agent immobilier est gêné, il sent qu’il y a là un enjeu. Une chambre à soi. Un garage à soi. 

Un jour, une description, le 3 septembre

13 janvier 2021

Un homme d’environ trente cinq ans, très grand, large, très musclé et dont la seule présence physique dégage une force impressionnante. Il sort du terrain où il a joué pendant quatre-vingt minutes. Il est crotté, il a un début de cocard à l’œil droit et semble harassé. Il prend la peine de féliciter ses camarades, de saluer les joueurs de l’équipe adverse, les arbitres et le public. On voit tout de suite à la manière dont il se déplace qu’il est un homme important de cette équipe. Le président du club vient le féliciter et lui dit deux mots en lui montrant un journaliste qui attend. Le joueur va voir le journaliste et répond gentiment à ses questions mais quand celui-ci veut poursuivre l’interview, le joueur lui dit qu’il répondra aux questions lors de la conférence de presse parce que là, il faut qu’il aille se doucher et se changer. Quand il rentre dans les vestiaires, le public l’appelle par son surnom et l’applaudit. Il leur fait un geste gentil de la main. Deux enfants l’interceptent et il signe leurs billets de match en leur parlant. On voit qu’il n’en peut plus mais qu’il fait attention tout. Il sait que cette difficile victoire peut être gâchée par un rien et que c’est lui qui doit veiller sur les autres malgré la fatigue, l’âpreté du combat, les coups reçus, les failles de l’équipe qui se sont révélées. Il ne doit rien montrer. Il est le capitaine exemplaire.

Un jour, une description, le 2 septembre

12 janvier 2021

Une jeune homme qui en fait doit bien avoir une trentaine d’années. Il n’est pas très grand, très mince, il a un visage fin et plutôt allongé. Le menton est assez pointu, le nez petit et droit et les yeux bruns sont plutôt ronds. Ses cheveux bruns sont courts et très plats. Il est habillée d’un jean neuf et de marque, d’une chemise blanche un peu froissée et d’une veste de costume grise. Aux pieds, il porte des baskets de la marque « Veja ». Il arrive un peu en retard dans une réunion et on le voit sortir son ordinateur portable d’une cartable de cuir. Il s’excuse d’une voix assurée et la réunion reprend. On repense à lui quelques années auparavant. La première fois qu’on l’avait vu, on avait cru que c’était la stagiaire tellement il paraissait jeune aussi bien physiquement que dans sa manière de s’habiller, de se tenir et de prendre la parole, ou plutôt de ne pas la prendre. On a appris son âge avec stupéfaction, il avait déjà trente ans et on repère combien il a changé en deux ans . On sait qu’il est papa depuis peu et c’est comme si ce bouleversement avait adapté son corps, son attitude, tout son être, à son vrai âge. 

Un jour, une description, le 1er septembre

11 janvier 2021

Une femme d’une cinquantaine d’années grande, athlétique. Elle n’arrive pas à travailler alors elle se sert un mauvais café dans son mug, elle prend son téléphone, son paquet de cigarettes et son briquet et elle sort sur la petite terrasse. Elle n’est pas seule, elle attend que le téléphone sonne et converse en attendant avec ceux qui sont là, qui passent. Certains semblent savoir qu’elle attend quelque chose et lui parlent pour lui changer les idées. Elle est au bord des larmes, arrangeant sans cesse sa mèche de cheveux blonds. Quand le téléphone sonne, elle s’éloigne et parle peu, elle écoute. Elle fume et reste un moment seule après avoir raccroché. Elle revient avec le visage complètement fermé, la bouche serrée. Elle finit pas expliquer que sa fille est allée passer des tests et qu’elle est vraiment dyslexique comme elle le pressentait et que c’est pour cela que sa scolarité a été si difficile. Elle est soulagée de savoir mais se sent coupable. Sa fille est déjà adolescente et personne n’a vu. Elle n’a pas vu. Autour, on lui parle, on lui dit que c’est le système scolaire qui est aveugle, que ça va aller maintenant, que ce sera plus facile. On dit des bêtises pour la sortir de sa détresse. Au moment où elle rit, elle se met à pleurer. Enfin. 

Un jour, une description, le 31 août

8 janvier 2021

Elle écrit à son bureau, sérieuse, appliquée mais elle doit se dépêcher. Elle part. Les départs sont toujours un temps de suspens, d’attente, elle s’y consacre. Puis, dans le temps de l’ailleurs, il faut se laisser absorber par ce qu’on voit. Se retrouver devant les tableaux. Ceux qu’on aime. Pouvoir aller les voir presque seule, enfin. Retrouver son souffle par le regard. 

Un jour, une description, le 17 août

7 janvier 2021

Une jeune femme d’une trentaine d’années à la table d’un restaurant déjeune avec son mari. Elle est arrivée en retard et est en colère. Elle commande le menu sans y apporter une grande attention alors qu’elle aime beaucoup ce restaurant de poissons où ils se retrouvent souvent pour déjeuner. Elle entreprend d’expliquer à son mari ce qui la met hors d’elle. Elle voit dans ses yeux qu’elle doit être véhémente et qu’il n’aime pas cela. Elle remonte sa jupe longue noire car elle a chaud. Elle s’est habillée très simplement ce matin car elle était pressée. Ses sandales préférées, sa jupe noir, un tee-shirt blanc, pas de bijoux, les cheveux coiffés au naturel et c’est tout. Elle sait qu’elle est naturellement élégante mais que souvent la colère lui donne un rictus qui l’enlaidit. Elle y pense pendant qu’elle parle, pendant qu’elle mange et se dit qu’il faut absolument qu’elle arrête. Elle n’y arrive pas. Elle continue malgré elle. Elle se rend compte que depuis le début du repas, son mari n’a quasiment pas dit un mot sinon pour essayer de la détendre. Elle se tait. Elle sent sur son visage la moue de dégoût qu’elle ne peut contrôler. Elle n’arrive pas à sourire, elle ne sait pas sortir de la colère. Elle sait que cette colère vient faire rejaillir une colère ancienne et profonde qui la déborde. Chaque fois. Elle sait qu’il faudrait qu’elle fasse quelque chose. Elle se dit que la première étape serait d’essayer de savourer son dessert. Juste ça, ce serait bien. Voilà.

Un jour, une description, le 16 août

6 janvier 2021

Une femme de soixante-dix ans environ, qui semble encore alerte, est assise en attendant le début d’un concert de musique classique. Comme toujours, elle s’est soigneusement préparée pour ce concert. Ses cheveux sont coiffés et laqués, sa frange, retournée au fer, est impeccable. Elle met une jolie combinaison-pantalon, elle pense qu’elle l’a déjà mise au denier concert mais elle est chic et peu chaude alors elle décide de la remettre. Elle choisit ses jolies chaussures à talon. Elle sait qu’elles ne sont pas confortables mais elle n’envisage pas de sortir en sandales plates. Elle arrive en avance car, bénévole, elle fait partie de l’organisation et ne raterait ce moment pour rien au monde. Elle s’y sent à sa place, indispensable, peut-être pas, mais utile. Elle accueille les gens, parle avec tous, distribue les programmes, bouge des chaises. Elle essaie de reconnaitre les habitués mais a du mal avec les masques. Quand elle voit les musiciens apparaître en habits pour le concert, elle est un peu déçue. Le chef a une chemise en lin à col « mao » qu’elle ne trouve pas suffisamment habillée et les musiciennes sont toutes en chaussures plates avec des habits amples. Elle sent en retour leurs regards sur elle. Elle s’en fiche parce qu’ils viennent tous la voir, ils la tutoient, l’appellent par son prénom et parlent un instant avec elle. Quand, au dernier moment, elle retourne à sa place, les spectateurs la regardent. Elle adore ce moment où elle peut penser qu’elle fait partie d’eux. Elle peut savourer le concert.

Un jour, une description, le 15 août

5 janvier 2021

Un garçon de douze ans environ dans les rues d’une ville touristique, l’été. Il parcourt la vielle ville avec ses parents et il en a un peu assez. Il fait chaud et ils marchent beaucoup. Mais il est très content car le matin même, il est allé chez le coiffeur avec son père et il a pu avoir la coupe qu’il voulait. C’est la première fois. Les cheveux sont bien rasés en bas et bien droit sur le dessus comme les grands de son collège. Comme s’il avait une coupe au bol très courte avec pas un cheveu qui ne dépasse et ensuite le tour rasé de très près, surtout la nuque. Il a mis son short et son tee-shirt préférés, ses claquettes et il se regarde souvent dans les vitrines. Il espère que ses cheveux ne pousseront pas trop vite et qu’il pourra arborer cette belle coupe à la rentrée. Ou qu’on l’autorisera à la refaire. Quand ses parents l’obligent à mettre une casquette, il est furieux. Dès qu’ils arrivent dans l’ombre des rues étroites de cette vielle ville, il reste un peu en arrière, il enlève sa casquette et se recoiffe. Il voit que son père l’a vu, qu’il ne dit rien et qu’il lui sourit en coin. Il est content, il se sent grand. 

Un jour, une description, le 14 août

4 janvier 2021

Une brocante dans le centre historique d’une grande ville du Sud de la France. Une femme revient de la plage où elle va nager tôt le matin avant le débarquement des touristes. Comme tous les lundis, elle fait un tour dans cette brocante. Elle sait que les objets sont vendus chers et ne sont pas toujours de qualité mais elle aime beaucoup regarder aussi bien les étals pleins de « charafi » comme on dit ici, que les étals des antiquaires huppés. Elle ne veut rien acheter mais ne peut s’empêcher d’aller jeter un coup d’œil chez son marchand préféré qui a toujours de jolies choses asiatiques. Ce marchand l’a fait sourire car il est toujours très chic, habillé en lin souple l’été, souvent avec un chapeau extravagant, aujourd’hui une capeline, il se tient assis sur un beau fauteuil ancien en osier et il semble toujours effrayé devant les hordes de touristes maladroits. Régulièrement, il se dresse comme mû par un ressort et se précipite vers celui ou celle qui touche un de ses objets. Aujourd’hui, c’est vers elle qu’il se précipite parce qu’elle a saisi un joli petit vase. C’est vrai qu’elle est encombrée par son panier de plage et sa « frite » pour nager loin. Il lui fait signe de poser son panier et prend la « frite ». Il tient cet objet en mousse polyuréthane violette du bout des doigts comme si c’était une chose horrible et sale. Il la pose avec dégoût sur son fauteuil et se tourne vers elle. Son visage est révulsé. Cela l’a fait rire et elle profite encore un peu de cette incongruité visuelle, sa « frite » au milieu des antiquités, avant de le libérer et d’observer son soulagement. 

Un jour, une description, le 13 août

13 décembre 2020

Deux frères assez jeunes tiennent deux étals côte à côte dans un grand marché, un étal de poissonnerie et un étal de coquillages et de fruits de mer. Leur mère, la poissonnière, est absente, on pense que chacun va veiller sur son étal mais l’aîné qui tient l’étal de coquillages se tient entre les deux et donne des ordres fermement. On sent qu’il est tendu et, qu’en même temps, il aime cela et qu’il le fait naturellement sans en rajouter. Son frère cadet, qui pourrait en prendre ombrage, fait comme quand il travaille avec sa mère, il est à son rythme, plaisante, râle un peu quand il a trop de poissons à nettoyer, mais tranquillement. Les deux frères parfois échangent rapidement pour aller chercher des produits dans le camion, quand la carte bleue ne marche plus, quand un client ou une cliente a une demande spécifique. On remarque que parfois le cadet apaise l’aîné et que, d’autres, fois l’aîné, voyant que son cadet est en difficulté, dit « je m’en occupe ». Ils ont un équilibre à eux que l’on remarque plus en l’absence de leur mère. Ils ne se ressemblent pas et pourtant ils ressemblent chacun à leur mère. Le nez droit, le regard perçant, mais l’aîné a un visage fin et le cadet un visage rond, solaire. De temps en temps, ils échangent un coup d’œil, complices et à plusieurs reprises, on les voit sourire à la même chose en même temps. Des frères. 

Un jour, une description, le 12 août

12 décembre 2020

Une jeune femme qui sert dans un restaurant. Elle vient d’apprendre qu’elle doit faire le service pour dépanner sa mère qui vient d’ouvrir ce lieu. Elle décide de ne pas se changer, elle est habillée confortablement en jogging noir. Elle met le couvert mais se rend compte à la fin qu’elle a oublié les sets de table et se dit que ce n’est pas grave que c’est aussi joli comme cela. Quand des clients arrivent et lui demandent un « spritz », elle panique, elle sait vaguement ce que c’est et pas du tout comment on les fait. Elle va voir sa mère qui lui dit qu’il n’y en a pas. Les clients passent en revue ce qu’ils voudraient mais elle voit bien qu’ils ont perçu son affolement et ils commandent du vin. Elle est vite débordée alors que trois tables sont occupées mais elle n’a aucun réflexe, elle oublie tout et sans cesse les clients sont obligés de lui réclamer la pain, l’eau, la carte des desserts. Ils sont patients mais elle se sent nulle. Quand des amis arrivent, elle s’installe et boit avec eux. Elle respire, elle oublie les tables et même si elle se rend compte qu’elle boit trop, elle s’en moque. Sa mère vient les rejoindre et lui dit qu’il faut qu’elle s’occupe des clients. Elles les avait oubliés. Elle se dit qu’elle ne veut pas être obligée à faire cela tout l’été. Pourtant il faut qu’elle aide. Elle se surprend à espérer que le restaurant ne marche pas, que les clients qui viennent de partir soient les derniers. Elle se reprend. Elle va proposer de faire la plonge. Au moins, ça, elle sait faire.

Un jour, une description, le 11 août

11 décembre 2020

Un homme âgé à une terrasse de café. Il est inquiet. Il a rendez vous avec son jeune frère mais il a peur de s’être trompé, il se trompe souvent. Il regarde encore le papier que lui a donné son frère, le nom du café, c’est bien là mais lui n’est pas là. La terrasse est en L et il ne peut pas la voir entièrement. Il décide alors de se lever régulièrement pour voir de l’autre côté. Il voit bien que les gens ont des plateaux et vont dedans mais il veut attendre, il ne veut pas faire cela tout seul, il sait qu’il ne sait pas. Quand il va voir de l’autre côté, il voit une table avec des gens qu’il a déjà vu avec son frère, il n’ose pas s’approcher mais ça le rassure, c’est bien là. Il se rassied et attend, il ne bouge plus, il regarde les gens passer, les enfants jouer avec des vélos et des trottinettes, les pigeons chercher des miettes. Il commence à avoir soif, il fait chaud mais il ne bouge pas, il attend son frère. Il est assis comme un enfant sage, le dos droit, avec les genoux serrés et les pieds joints. Son frère apparaît enfin et lui fait signe de le rejoindre, ils s’asseyent à la table de ses amis, il les salue, il sait qu’il les a déjà vus mais il ne se souvient pas bien d’eux. Son frère est parti chercher à boire et il est revenu avec sa grenadine. Il avait soif, il est content. 

Un jour, une description, le 10 août

10 décembre 2020

Un couple et leurs deux enfants dînent à la table d’un restaurant avec une jeune femme. Elle semble étrangère et parle en anglais. Elle est particulièrement animée ce soir car c’est son anniversaire et pour la première fois elle va au restaurant dans cette belle ville au bord de la mer où ils sont en vacances. Elle s’occupe des deux enfants, c’est son travail, mais ce soir, elle est en vacances et même si les enfants sont là, elle n’est pas obligée de veiller sur eux. Elle choisit soigneusement ses plats que lui a traduits en anglais, l’homme et ils commencent à parler, elle explique ce qu’elle voudrait faire comme métier. Elle ne peut s’empêcher d’un œil de regarder le petit garçon qui remue beaucoup, elle voit qu’il marche un peu loin et qu’il y a un chien sur son chemin. Elle sait qu’il en a peur, elle voit qu’il court vers elle et se cache la tête dans ses jupes. Cela l’émeut. Elle lui caresse la tête et lui dit quelques mots à l’oreille, qui l’apaisent dans sa langue à elle. Elle aime bien cette soirée mais elle se sent tiraillée et cela se voit, sa patronne le lui dit. Elle se dit que peut-être elle aurait préféré jouer à la dinette avec le petit garçon et manger un gâteau de cailloux pour ses vingt ans. Elle pense qu’il faut qu’elle profite quand même de cet instant et savoure son dîner. Au moment du dessert, elle prend le petit garçon sur ses genoux pour le manger avec lui. 

Un jour, une description, le 9 août

9 décembre 2020

Une jeune fille aux cheveux longs très frisés, châtains clairs avec des reflets d’un roux vénitien. Elle est jolie et a un visage très personnel qui retient l’attention. Sa voix est posée même si elle passe de la volubilité avec ses amis et son frère à une certaine timidité avec les adultes. Elle écoute beaucoup et on pressent qu’elle n’intervient pas dans la conversation quand ses parents sont là. Souvent, à un froncement de sourcils, à un geste de la main, elle montre presque sans le vouloir qu’elle ne comprend pas quelque chose ou qu’elle n’est pas d’accord. Elle pèse ses mots quand elle demande des explications comme si elle avait été habituée à ne pas interrompre les adultes. Il est rare qu’elle donne son avis. Quand elle le fait, souvent, elle est en opposition avec sa mère et celle-ci devant cette calme contradiction, a du mal à débattre avec sa fille et a tendance à jouer plutôt de l’autorité ou d’arguments sur l’expérience, l’âge. On voit que cela exaspère la jeune fille qui, de guerre lasse, regarde son père d’un air entre énervement et tristesse. Souvent, il vient à son secours et permet à la jeune fille d’aller au bout de ses idées et de les défendre. On l’écoute tous avec beaucoup d’attention, et dans ces moments-là, la mère est souvent prise d’une frénésie de rangement, cela fait sourire le père et la fille et nous aussi. 

Un jour, une description, le 8 août

8 décembre 2020

Un vieux monsieur assis sur un banc sur un bord de mer. Il vient là tous les jours sauf quand il pleut et quand il neige. Il descend lentement le grand boulevard en s’aidant de sa canne. Il fait deux pauses avant d’arriver puis il marche un peu le long de la mer et s’assoit sur ce banc. Comme il fait beau mais pas encore trop chaud, il a mis sa djellaba blanche et ses sandales. Mais il n’a pas pris de casquette et il le regrette un peu car le soleil est fort sur son crâne chauve. Il regarde droit devant lui vers l’horizon, il écoute le bruit des galets et du ressac et il attend. Il aime arriver le premier et attendre ensuite ses amis, il profite de ce temps seul qui est comme un temps de pause. Il ne prendra une cigarette que lorsqu’un de ses amis arrivera et ils fumeront ensemble. Il est très content que son autre ami ait apporté de la citronnade. C’est la boisson qu’ils buvaient ensemble au moment de la pause quand ils travaillaient sur les chantiers. Comme un rituel, sans vraiment s’organiser, tous les jours l’un d’entre eux apporte à boire de la citronnade quand il fait beau, du thé dans un thermos quand il fait froid. Sans rien se dire, cela leur fait penser à leur enfance, aux bruits et aux odeurs qu’ils leur semblent percevoir sur la mer qu’ils viennent voir ensemble tous les jours. 

Un jour, une description, le 7 août

7 décembre 2020

Un homme d’une soixantaine d’années qui écoute un concert en plein air de musique classique. Le concert a lieu sur la place du village, comme il y habite depuis peu, c’est la première fois qu’il assiste à ce type d’événement dont il comprend en arrivant, qu’il réunit les principaux acteurs de la municipalité et de la vie culturelle. Il va essayer, comme chaque fois qu’il le peut, de se rapprocher des gens avec qui il a envie de parler. Il écoute attentivement le concert mais guette le moment de l’entracte avec impatience. Il se rapproche du petit groupe qui s’est créé autour du Maire et de l’élu à la culture et essaie de placer un mot ou une phrase. Il reste parmi le groupe même s’il ne comprend pas entièrement l’enjeu de la conversation. Il sent bien qu’il commet des maladresses mais il est très blessé quand quelqu’un lui dit clairement qu’il n’a ni à écouter ni à intervenir dans leur conversation privée. Il ne comprend pas, il n’a pas le sentiment d’être indiscret ou intrusif. Après tout s’ils voulaient parler en petit comité, ils pouvaient se mettre vraiment à l’écart. Il pressent que la personne qui lui a dit cela ne l’aime pas et veut le tenir à l’écart de ce petit groupe, il pense que c’est elle qui la plupart du temps se mêle de tout à tort et à travers. Il sait qu’il ne faut pas qu’il montre son énervement et que les autres ne doivent pas d’apercevoir qu’il y a eu une passe d’armes entre eux. Il se rassoit pour la suite du concert et essaie de se calmer. Il se dit que ce n’est pas grave et qu’il fera en sorte de lui rendre la pareille.

Un jour, une description, le 6 août

5 décembre 2020

Une femme d’une cinquantaine d’années assise dans une salle d’attente. La salle n’est pas grande. Sur l’assise d’une chaise sur deux, il y a une grande croix au scotch rouge pour que les patients ne s’y assoient pas. Quand on est arrivée, elle nous a regardé avec crainte et on a pris soin de se mettre loin et de rester masquée comme elle. On la regarde et on pense qu’elle est très tendue, elle ne lit pas, ne joue pas sur son téléphone, sursaute à chaque bruit de porte ou de voix et triture les anses de son sac. Elle a dû s’habiller spécialement pour venir chez le médecin. On voit le soin apporté à sa tenue avec une jolie robe ajourée. Quand on voit ses pieds dans des mules en plastique, on pense qu’elle doit avoir les pieds déformées et qu’elle ne peut plus porter que cela. On ne sait si c’est la situation sanitaire qui la panique ou autre chose. Elle est à la fois impatiente et anxieuse comme si elle était dans l’attente d’une réponse ou d’un résultat. Son inquiétude se propage à tout son corps, elle ne se rend pas compte qu’elle tape des pieds par terre dans un mouvement d’énervement presqu’enfantin. 

Un jour, une description, le 5 août

4 décembre 2020

Une petite maison dans un jardin. Le jardin est peu entretenu et plein d’objets trainent aux abords de la maison. On ne sait si quelqu’un vit vraiment, tout le temps, dans cette maison qui est pourtant voisine de la nôtre mais à l’arrière. On y voit surtout des gens le week-end qui viennent pour profiter, très bruyamment, de la toute nouvelle piscine. Souvent des familles entières viennent passser la journée et la soirée. Une jeune femme et deux jeunes hommes semblent en être les propriétaires ou en tous les cas y être le plus souvent. Ce sont eux qu’on voit s’affairer le lendemain pour ranger à la suite d’un repas, d’un barbecue ou d’une fête. Le soir, l’été, souvent il n’y a personne. On surprend un des jeunes hommes habillé en garçon de café ou serveur dans un restaurant, son costume noir avec une cravate est étrange dans la moiteur de l’été. Etant donné son habit, on pense qu’il doit travailler dans un endroit chic de la Côte d’Azur. Il n’a pas la tenue plus décontractée des serveurs des restaurants de plage, des pizzerias. Il met un casque et part précipitamment en scooter bleu, ceux de la Ville. D’un coup, malgré le costume, il redevient un gamin bruyant qui fait hurler son moteur. 

Un jour, une description, le 4 août

3 décembre 2020

Un homme d’une trentaine d’années dans un hôpital. L’espace du secrétariat pour les radios et les scanners est petit, entouré de fauteuils qui servent de salle d’attente. Il est difficile quand on arrive de savoir où aller et on a mis un moment à comprendre dans quel ordre il fallait faire les choses. Quand l’homme arrive, on sent tout de suite qu’il est affolé comme beaucoup d’autres qui doivent faire une radio ou un scanner d’urgence et qui ont peur du résultat. Il est en tee-shirt, short et claquettes comme s’il était sorti de chez lui précipitamment. Il regarde le papier qu’il tient à la main, il regarde les bureaux et se dirige vite vers celui devant lequel il y a quelqu’un. Il attend nerveusement et quand c’est son tour, tend le papier à la secrétaire. Celle-ci lui dit qu’ils ne font pas d’IRM, que des scanners et qu’il a une ordonnance pour un IRM. Il s’énerve et ne cesse de dire qu’il a rendez vous-là ; elle lui répète que ce n’est pas possible, qu’elle n’a pas son nom, elle lui demande le numéro de téléphone où il a pris rendez-vous. Elle essaie mais il refuse toute aide, ne comprennant pas la différence entre scanner et IRM et disant qu’il veut faire lui aussi un scanner. Il part, revient en vociférant. On voit qu’il pense qu’on ne veut pas le recevoir lui, parce qu’il n’est pas français ; il dit « mais j’ai le droit, moi aussi ». On comprend que quelqu’un d’autre a dû lui prendre rendez-vous ailleurs et qu’il a mal compris. On pressent qu’il ne sait pas lire. Il repart encore plus perdu et nous laisse désemparées de ne pas avoir pu l’aider. 

Un jour, une description, le 3 août

2 décembre 2020

Une femme dont on n’arrive pas à déterminer l’âge est assise en train de boire l’apéritif. Elle est heureuse de pouvoir enfin sortir et veut savourer ce moment sur la plage avec son mari et sa grande fille. Elle a longuement hésité sur sa tenue et s’est décidée pour sa « combi-short » léopard et a tout assorti avec : mule, sac, masque. Elle trouve que ça « flashe» bien et est assez contente d’elle. Elle est maquillée avec soin comme toujours et coiffe longuement sa chevelure blonde pour qu’elle fasse un peu « sauvage ». Quand au moment de partir, son mari et sa fille la voient, elle sent leur désapprobation. L’un dit «  tu n’en fais pas un peu trop, là ? », l’autre dit « maman, quand même! ». Elle décide de s’en moquer et fait remarquer à sa fille qu’elle aurait pu, elle, s’habiller un peu. Sa fille est en jean avec un tee-shirt blanc et des sandales en cuir, elle est très jolie. Quand elle sort et met son masque léopard, le père et la fille lèvent les yeux au ciel et elle voit bien que les gens la regardent en souriant. Pourtant quand elle se regarde dans les vitrines, elle trouve ça très beau. Elle décide qu’elle se fiche de tout cela, elle s’installe sur la plage et profite du moment. Elle voit les regards des hommes sur sa fille qui sirote son coca. Elle ne sait pas si cela lui fait plaisir, lui fait mal ou l’inquiète. Elle décide de reprendre un mojito. 

Un jour, une description, le 2 août bis

1 décembre 2020

Un homme d’environ trente-cinq ans, très grand, large, très musclé et dont la seule présence physique dégage une force impressionnante. Le match est fini depuis trente minutes, il est douché, habillé avec les habits fournis par le club, il se rend vers le point presse pour répondre aux questions. Il n’aime pas vraiment ça. Il aurait préféré traîner avec les autres joueurs dans le vestiaire pour faire redescendre la pression et plaisanter, savourer la victoire qui a été difficile aujourd’hui. Et puis, il y a eu une bagarre générale et il pense qu’on va lui en parler car elle a duré longtemps malgré l’intervention de l’arbitre et il sait qu’il s’est beaucoup énervé et que les images doivent tourner en boucle. Il essaie de trouver les bonnes phrases dans sa tête, il se prépare. Il a l’habitude depuis qu’il est capitaine. Il faut qu’il arrive détendu, souriant, qu’il écoute poliment et qu’il réponde simplement mais intelligemment en faisant une ou deux plaisanteries. Il sait faire. Pourtant il est encore plein d’adrénaline et il sent qu’il est encore dans le match alors qu’il devrait prendre du recul. Cela fait partie de ses tâches mais il ne s’y fait pas, pas encore. Il a l’impression de jouer au bon élève après s’être battu dans la cour de récréation. Il est dans le couloir qui mène à la salle où l’attendent des journalistes, il s’arrête secoue les épaules plusieurs fois, souffle comme s’il rentrait dans le stade. Il entre dans la salle et se met devant le panneau des logos, les micros se tendent. Il commence un autre match. 

Un jour, une description, le 2 août

30 novembre 2020

L’église est une belle église baroque sur une place d’une vieille ville. Vous la connaissez depuis toujours, mais jamais vous n’avez sérieusement pensé à un enterrement là. Sauf les derniers temps. Et cela vous a semblé aller d’évidence, faire cela comme ça, là. Vous savez ces moments un peu étranges où on est triste et quand même heureux de retrouver les gens perdus de vue, où on se surprend à compter les présents et les absents dans l’hommage au disparu. Les embrassades, les émotions, les pleurs, les rires, tout entremêlé comme un bruissement. Vous pressentez quand même que sur ce parvis, tout va encore bien. Vous faites comme vous avez toujours vu faire avec des automatismes qui remonte à l’enfance, à une culture partagée que vous ne soupçonniez pas ancrée en vous. Vous vous retrouvez derrière un cercueil. Vous sentez l’odeur des bougies et de l’encens, vous entendez les murmures qui se taisent, vous avez l’impression que le parcours entre les bancs est immense et sombre, vous ne reconnaissez personne. Vous avancez droite et digne, comme il faut. Toute la cathédrale pleine se lève, l’orgue entonne ses premières notes et le violon joue et tient une note comme une larme.

Un jour, une description, le 1er août

28 novembre 2020

Un homme d’une cinquantaine d’années assis à un café. Il vient dans ce café tous les jours après son marché et même le lundi quand il y a les antiquaires. Il aime bien ce café particulièrement car c’est le café-tabac historique de ce quartier et que les clients se connaissent et parlent entre eux. Pourtant, il sent bien qu’il n’est pas l’un des leurs, qu’on lui répond poliment mais sans plus. Il n’est pas d’ici. Il est souvent en colère car il essaie de parler aux gens mais il n’est arrivé à nouer aucune amitié, aucune camaraderie, aucun amour non plus. Il regarde beaucoup les femmes. Il pense que si elles sont seules, courtes vêtues, c’est pour être regardées et donc il le fait, c’est tout. Souvent, il en aborde certaines assises à une table du café ou même dans la rue. Il est vulgaire et direct mais il ne sait pas faire autrement et pour lui une femme seule est une femme qui veut rencontrer quelqu’un, donc lui peut-être. Il se fait tout le temps rembarrer parfois cruellement mais il continue. Il ne voit pas où est le problème, il trouve que les femmes sont “dégueulasses” avec lui. Il se dit pire encore. Souvent, il sait bien que les femmes qui sont à une table à côté de lui vont lui dire non, mais il les aborde quand même, juste pour les embêter, qu’elles se sentent mal et s’en aillent. Qu’elles ne profitent pas de cet instant. Bien fait. 

Un jour, une description, le 31 juillet

27 novembre 2020

Une rangée de personnes plutôt âgées pendant un concert de musique classique. Au milieu, une femme est venue écouter ce concert. Elle attend ce moment comme elle le redoute. Elle essaie en arrivant de saluer poliment tout le monde mais aussi de se faire discrète pour ne pas être happée par l’un de ses administrés. Elle s’assied en se disant qu’elle n’a oublié personne et que personne ne lui a sauté dessus pour lui parler de telle route, tel voisin, tel problème d’ouverture de la poste, de l’école, de la médiathèque. Elle laisse volontiers le soin à l’élu à la culture de faire un discours pour l’ouverture du concert. En l’écoutant, elle se dit qu’il n’est vraiment pas bon, mais qu’importe, il faut déléguer. Elle peut enfin profiter de la musique. Son téléphone vibre, elle regarde quand même le sms, rien de grave, elle souffle, elle peut se remettre dans sa bulle, comme si elle n’était pas dans son village, comme si elle était seule, inconnue. Elle savoure. A un moment donné, on entend très fort le bruit d’une télévision. Le fou du village. Elle sent qu’on la regarde, on lui murmure à l’oreille qu’elle devrait peut-être y aller, l’élu à la culture se tourne vers elle. Elle fait non de la tête. Elle s’en moque, ce moment est à elle. Elle se replonge dans la musique. A un moment donné, elle se dit même : « il faudrait que quelqu’un aille faire taire cette télévision ! », et rit de se rendre compte que cela devrait être elle. Elle écoute la musique et se jure qu’elle ne se présentera pas pour un quatrième mandat.

Un jour, une description, le 30 juillet

26 novembre 2020

Un bateau dans une très belle baie de Méditerranée. Les multiples constructions récentes, comme partout sur cette côte, n’arrivent pas à gâcher la beauté de cette rade et de son village. De nombreux voiliers et bateaux de plaisance sont au mouillage parfois dans une grande cacophonie visuelle. Mais ce bateau là est affreux et fait peur. On se dit que d’instinct les autres bateaux se sont éloignés car il y a un grand vide autour de lui. On comprend ensuite que c’est parce qu’il garde en permanence ses moteurs au mépris de tous ceux qui sont venus là parce qu’ils aiment la mer et les bruits caractéristiques de ces mouillages d’été. Clapot, drisses qui claquent, cris d’enfants, moteurs des annexes, bruits de plongeons. Ce bateau imite les bateaux de guerre américains. Sa forme, sa couleur, son nom, la typographie des lettres et des chiffres de son nom, tout est fait pour cela. On se demande comment on peut construire un bateau pareil pour le plaisir. On pense à son propriétaire, on le voit enfermé dans le grand salon de son deuxième pont, que l’on aperçoit même de loin, climatisé aux vitres fumées, entièrement clos. Volontairement abstrait du monde qui l’entoure et qu’il abîme. On est en colère. On pense au jeu de la bataille navale et on aimerait dire « touché, coulé » et que le faux bateau de guerre disparaisse pour de vrai. 

Un jour, une description, le 29 juillet

25 novembre 2020

Un homme très âgé assis dans un vieux fauteuil défoncé. Vous vous asseyez en face de lui comme vous pouvez, sur une chaise sale et bancale. Vous avez le réflexe d’aller dans la petite cuisine chercher une éponge pour nettoyer la chaise et puis vous renoncez. Vous êtes là pour le voir, lui. Il est habillé comme toujours avec un pantalon gris clair, une chemise bleue et des chaussures en toile de coton sauf que tout est sale. Vous vous rappelez qu’il n’avait jamais été très soigné mais que d’autres s’en préoccupaient pour lui. Vous lui parlez, il écoute, il entend, il comprend, c’est comme si votre récit arrivait comme des vagues du monde extérieur qu’il accueille avec plaisir. De temps en temps, vous voyez son regard s’allumer et vous savez qu’il va rebondir sur un récit à lui. Vous écoutez même si ce qu’il raconte il vous l’a déjà raconté, cela n’a pas d’importance. Vous profitez du son nasillard de sa voix, de sa joie à vous parler. Pourtant, souvent, son regard se perd et vous vous surprenez à regarder ses yeux bleu très pâle qui portent en eux un ailleurs depuis toujours. Vous guettez ces moments où son regard part. Vous faites silence et vous profitez de cet espace suspendu que son regard créé entre vous deux. Vous savez que parfois vous avez le même regard, entre l’absolue solitude et le rêve azuré. 

Un jour, une description, le 28 juillet

24 novembre 2020

Une petite fille de huit ans. Elle est accompagnée de sa mère. On ne peut pas se tromper car elle se ressemblent « têtes coupées ». Du coup, la petite fille semble plus âgée et sa mère plus jeune, comme par un effet de vases communicants. Elles ont des grands cheveux noirs, un visage un peu pointu avec un nez fin, une bouche très dessinée, ourlée, et de grands yeux noirs. Alors que la petite fille observe tout avec sérieux et une grande attention, sa mère observe sa fille avec un mélange d’admiration et d’inquiétude. Elle regarde tout ce qu’il y a autour d’elle et semble guetter, analyser, vérifier, comme si elle essayait de comprendre ce qui se joue dans ce repas où elles sont invitées mais pas tout à fait à leur place doit-elle penser. Une tablée de musiciens qui accueillent sa fille déjà virtuose. La mère semble à la fois préoccupée de ce qui arrive à sa fille mais, déjà, elle se projette dans son futur et est vigilante. Elle ne veut pas que sa fille commette d’impair avec une personne importante, elle jauge des situations prête à corriger la moindre erreur de la petite fille. Elle est sur le qui vive et essaie de ne surtout pas le montrer. Mais sa main crispe sans arrêt le petit foulard qu’elle vient d’enlever. 

Un jour, une description, le 27 juillet

23 novembre 2020

Une toute petite échoppe à l’entrée d’un marché couvert où l’on vend des spécialités antillaises. Quand on voit les deux allées et les magasins alignés, on a l’impression que son étal s’est glissé là et peu à peu a réussi à se faire une place. Il détonne entre les charcuteries italiennes, boucheries, volaillers, crèmeries, poissonneries, c’est le seul magasin où on fait de la cuisine, et antillaise, en plus. Son patron est une figure de ce petit marché : grand, volubile, interpellant les chalands, les autres commerçants, on le remarque tout de suite. Il parle d’autant plus que souvent ses clients doivent attendre que les accras cuisent et il leur fait la conversation, parfois certains commandent un rhum qu’il boit avec eux. Il est très drôle, trouve un surnom à tout le monde de manière gentille, moqueuse parfois, mais jamais méchante ou méprisante. On sent pourtant souvent des tensions, des réflexions notamment de certains commerçants qui ne se montrent avec lui jamais ouvertement racistes mais se permettent des remarques notamment sur l’odeur de sa cuisine. Il répond vertement mais toujours en souriant. On pressent qu’il a l’habitude et que si parfois, on pense qu’il en fait trop, on se dit que c’est sa manière à lui de se défendre et d’avoir trouvé et fait sa place, juste au seuil. 

Un jour, une description, le 26 juillet

21 novembre 2020

Un couple assis sur un petit parapet qui domine la mer toute proche. Ils sortent de leur travail respectif et après une douche, ils ont décidé d’aller se promener. Ils sont habillés comme quand ils sont chez eux : short, marcel, chaussettes et claquettes pour lui et jogging, grande chemise pour elle. Pour sortir, elle a mis un léger voile noir sur ses cheveux et autour de son visage qui flotte dans le vent. Ils sortent de leur voiture dans laquelle ils écoutaient de la musique à fond et ils se sont installés là où la vue sur la rade est la plus belle. Ils s’asseyent d’abord à califourchon sur le parapet, face à face. Lui la regarde pendant qu’elle cherche des choses sur son i-phone qu’elle lui montre régulièrement en riant. Au début, il est nerveux et n’arrête pas de remuer assez fébrilement les jambes, peu à peu, il se calme. Elle a perdu son foulard qui est bas sur ses épaules, ses longs cheveux noirs sont détachés, ils sont longs et bouclés. Ensemble, ils regardent la mer et les nombreux bateaux, elle lui montre un beau bateau ancien qui est souvent là. Sans même se parler, d’un même mouvement, ils se tournent face à la mer, les jambes pendant dans le vide qu’ils remuent comme deux gamins. Cela les fait rire. Ils s’accordent ce moment comme un instant suspendu. Leurs mains se frôlent. On se dit qu’il aimerait la prendre dans ses bras mais qu’il n’ose pas, pas là, pas en public. Elle le sait, elle sourit. 

Un jour, une description, le 25 juillet

20 novembre 2020

Une femme traverse précautionneusement l’avenue principale de la ville en tirant un chariot de courses. On la remarque car elle n’est pas habillée pour sortir. Elle a des pantoufles aux pieds et une blouse d’intérieur sans manche. On voit que les pantoufles sont soignées, noires et à tout petit talon mais la blouse est celle que portaient les femmes plus âgées pour faire le ménage ou pour rester chez elles. Elles les portaient soit directement sur leur combinaison quand il faisait chaud, soit sur leur robe. Quand elles sortaient, elles ôtaient leur blouse, elles ne seraient jamais sorties avec, sinon pour faire quelques courses dans le quartiers. Et puis elles mettaient des souliers. On se demande pourquoi cette femme se promène en habits d’intérieur d’un autre temps. Elle semble en forme mais elle marche très lentement. Elle nous fait penser aux femmes peu habituées à sortir et qui sont précautionneuses et presque apeurées dans la ville. On voit qu’elle ne semble avoir aucune habitude dans le marché, et qu’elle ne salue personne, aucun commerçant. Elle suit le boulevard et achète quasiment tout à un seul étal. On pense que peut-être ce n’est pas elle qui fait les courses habituellement, qu’elle y est obligée et qu’elle fait comme elle peut, doucement. 

Un jour, une description, le 24 juillet

19 novembre 2020

Deux jeunes garçons sur une plage, ils doivent avoir autour de seize ans. Sur la plage plutôt calme, on n’entend qu’eux. Ils crient, ils s’interpellent de loin, ils courent jusqu’à l’eau en dérangeant tout sur leur passage, ils éclaboussent tout le monde et bousculent les plus petits. Comme des gosses. Quand ils sont dans l’eau, c’est encore plus flagrant d’autant plus qu’ils ne savent pas bien nager et se comportent comme des enfants mais comme ils sont grands, cela fait beaucoup plus de bruit et de mouvement. Ils sont à la fois complètement dans leurs jeux et, en même temps, ils perçoivent clairement qu’ils sont le centre d’une attention souvent exaspérée et ils en rajoutent. Quand ils sortent de l’eau, ils vont s’installer sur leurs pliants et mettent de la musique à fond. Ils pourraient comme tous, mettre des écouteurs, mais non, et toute la plage doit écouter leur musique. Leurs voisins réagissent et sans répondre, ils montent encore le son avec juste un peu d’agressivité. On se demande pourquoi ils veulent imposer cela aux autres. Qu’est-ce qui est en jeu pour eux là ? Ils viennent d’une des banlieues de cette grande ville touristique et, sur cette plage publique mais du centre ville historique, ils veulent marquer à la fois une appartenance et un territoire. Ils sont comme dans la mer, comme ils ne savent pas nager, ils crient, comme ils ne connaissent pas cette plage, la musique crie pour eux. Assis, jambes écartées, cocas en main, musique à fond, ils surjouent le « comme chez moi ». Parce que justement, ils ne sont pas vraiment sûrs d’être là, chez eux. Le bruit marque l’espace et ils seront enfin « les rois de la plage ». 

Un jour, une description, le 23 juillet

18 novembre 2020

Un chien tout petit, absolument ridicule avec des oreilles pointues et une queue dressée et retournée comme si elle avait été mise en plis autour d’un bigoudi. Nous sommes sur une petite île avec un seul tout petit village et un port. On aurait pu imaginer que le chien de ce village soit plutôt un gros chien qui se promène mais, non, c’est ce petit chien qui est visiblement connu de tous les autochtones et qui se balade partout même sur les pontons. Par recoupement, on pense qu’il appartient à un des restaurants et que toute la journée, il est en liberté. On est surpris car ce type de chien est plutôt un chien à « mémère » qu’on imagine avec un nœud entre les oreilles et dans un panier. De temps en temps, on le voit entrer dans un des restaurants, certainement aller boire, et ressortir pour aller vaquer à ses occupations de chien. Jamais on ne le verra quémander une caresse, de l’attention ou à manger. Sa tranquille indépendance le rend attachant, on se surprend à le chercher des yeux quand on arrive sur le quai ou qu’on s’installe au bar. Dans son incongruité, il fait partie du paysage. 

Un jour, une description, le 22 juillet

17 novembre 2020

Quatre femmes se retrouvent tous les jours pour faire une promenade et passe dans un étroite ruelle en pente qu’elles descendent. Chacune a une maison ou un appartement dans ce quartier et elles se retrouvent tous les jours pour faire une promenade contournant l’interdit de se réunir. Elles en profitent pour s’échanger des nouvelles, mais aussi pour se moquer des unes et de autres, pour plaisanter, elles rient souvent. Pourtant, une est à part et on comprend qu’elle est la mère des trois autres. On ne sait si elle ne participe pas à la discussion générale, vive et légère, parce qu’elle n’arrive pas à la suivre complètement, ses filles faisant allusion à des chanteurs, à des séries, qu’elle ne connait peut-être pas, ou bien si c’est parce qu’elle ne veut pas s’en mêler tenant à garder de la distance. Parfois, elle est même assez sèche avec ses filles, dit qu’elles sont trop bavardes. Pourtant celles-ci sont très attentionnées avec elle, lui demandant régulièrement si “ça va”, l’écoutant avec attention. Mais on sent comme un peu d’impatience chez elles, elles ont certainement envie aussi d’être entre elles, de se dire des choses plus intimes. Certaines traînent et s’isolent pour pouvoir parler à voix basse, ce qui irrite leur mère qui les rappelle à l’ordre comme si elles étaient encore des enfants. On pense que ce jeu de rôle figé depuis l’enfance leur fait du bien à toutes les quatre le temps de ces courtes retrouvailles quaotidiennes.

Un jour, une description, le 21 juillet

16 novembre 2020

Un homme d’une cinquantaine d’années qui écoute un concert de musique classique. Le concert se fait sur la place haute d’un petit village. Tous ceux qui aiment la musique classique sont là avec quelques personnes venues de plus loin. D’une certaines façons tous les notables sont là même si, pour la plupart, ils ont l’air d’anciens « babas ». L’homme arrive avec un air très décidé et prend immédiatement la meilleure place d’autorité comme si elle lui revenait ou comme s’il était un professionnel. En réalité, il est mal à l’aise car c’est la première fois qu’il vient à ce type de concert et il ne veut pas que cela se voit. Il ne comprend pas pourquoi cette place est libre et saute sur l’aubaine. Il ne sait pas que les meilleures places sont un peu plus au centre pour pouvoir mieux entendre l’ensemble des instruments de manière équilibrée. Quand les musiciens arrivent, il est un peu hésitant sur les rituels qui font que l’on applaudit les musiciens, puis le chef. Il est pris dans la musique et c’est certainement pris par un enthousiasme sincère qu’il commence à applaudir après le premier mouvement alors qu’il faut attendre que l’ensemble des morceaux du concerto aient été joués. Il est seul à applaudir, il s’arrête net et voit que le chef enchaîne, il regarde le programme et certainement, comprend. On l’imagine rouge ou blême de honte. On est triste pour lui. On se dit qu’on aurait dû applaudir aussi, par solidarité. On se dit que la gentillesse serait de dire au public comment cela se passe avant. Ce serait cela, accueillir. 

Un jour, une description, le 20 juillet

14 novembre 2020

Un couple âgé d’italiens déjeune avec un ami. Elle est petite et très ronde. Elle a des cheveux frisés assez longs et gris, un visage avec des grands yeux bruns, des lunettes ovales et un petite bouche très dessinée. Elle est vêtue d’une longue robe fleurie dans des tons verts avec des motifs de fleurs blanches et une large ceinture de cuir brun à la taille. Aux pieds, elle porte des baskets de cuir naturel. Elle arrive avec un sac de cuir brun qui a la forme de grand cabas, qui est ouvert et débordant. Elle salue vivement leur ami, fouille dans son sac et s’assied en le posant sac par terre. Le sac bascule et tout son contenu tombe. Elle regarde par terre puis regarde vite son mari qui ne dit rien. Elle se penche et essaie de rattraper tout ce qui est tombé, de temps en temps, se relève pour participer à la conversation puis se replonge sous sa chaise. Quand elle se relève, elle a son sac rempli à nouveau sur les genoux. Et se remet à parler. Son mari alors, délicatement, sans rien dire mais avec un sourire et un soupir presque imperceptibles, prend le sac, range ce qu’il y a dedans, cherche le téléphone, le trouve sous la chaise, ferme le sac et le pose sur la chaise en face de lui. A son tour, elle fait comme si elle ne voyait rien. On se demande si dans ce duo, son rôle à elle n’est pas de tout faire tomber, de tout perdre et lui, calmement et élégamment, de tout ranger, tout retrouver, tout ordonner.

Un jour, une description, le 19 juillet

13 novembre 2020

Un jeune homme traverse une place. Il est entouré de gens qui font leur marché, souvent plus âgés, et il détonne. Il les dépasse d’une tête d’autant plus qu’il est couronné d’un magnifique chignon de dreadlocks. Il cherche des vraies courgettes trompettes et c’est encore un peu tôt dans la saison. Il fait chaque étal du marché et n’a pas l’air de se rendre compte de l’effet de surprise qu’il produit sur certains. On ne sait si c’est à cause de sa taille, de son look ou bien de sa couleur de peau. On est un peu inquiète que ce soit la dernière solution qui soit la plus probable. Il doit en avoir l’habitude et déambule comme un danseur avec une démarche souple et ondoyante mais sans regarder personne vraiment. Il se dirige vers un marchand un peu sur le côté et son visage s’illumine de voir enfin ce qu’il cherche. Il regarde le prix et semble le trouver raisonnable. Il ne peut pas ne pas avoir perçu le regard mauvais de ce commerçant mais il lui demande tranquillement s’il peut se servir. Le marchand répond en souriant que oui. Ce jeune homme a un accent très prononcé d’ici, on comprend alors pourquoi le marchand a changé d’attitude. Il surveille au début le jeune homme qui choisit ses courgettes puis le laisse faire. Imperceptiblement, l’attitude du jeune homme a changé, comme si lui aussi d’avoir parlé comme cela, l’avait rassuré. On n’ose pas penser comment cela aurait été s’il avait parlé avec un accent du Nord ou un accent étranger. On se demande pourquoi c’est si important pour certains que les gens soient d’ici et que cela ne leur suffisent pas qu’ils soient juste ici. Ce qui est déjà beaucoup. 

Un jour, une description, le 18 juillet

12 novembre 2020

Une femme d’une quarantaine d’années qui est massive mais semble assez sportive, dynamique. Elle dirige une équipe de plusieurs personnes depuis quelques mois. Elle ne se sent pas bien dans cette position et elle sait qu’elle n’est pas appréciée. Dès qu’elle est arrivée, elle a vu que tout, sa personnalité, sa manière de s’adresser aux autres, son accent, tout était mal pris. Elle n’arrive pas à redresser les choses, elle ne comprend pas clairement ce qui se passe mais elle continue d’essayer. Elle se rend compte que peu à peu, elle a changé. Elle s’est habillé en noir, elle a mis des petits talons, elle a coiffé ses cheveux de manière stricte avec un carré court, elle s’est déguisé en patronne. Surtout, elle a changé ses petites lunettes rondes contre une monture très forte, très lourde comme c’est la mode chez les architectes, les designers et les communicants. Parfois elle se dit, quand elle regarde son reflet, qu’elle veut tellement se mettre à distance qu’elle a maintenant des lunettes qui font plus penser à des lunettes de protection pour souder et qu’à des lunettes de vue. Elle a l’impression qu’elle est moins atteinte par l’agressivité autour d’elle comme cela mais elle se rend bien compte qu’elle devient encore plus froide comme ça. Quelquefois, quand des amis viennent à son bureau, elle retrouve une forme d’insouciance, une joie légère qui a l’air de surprendre autour d’elle. Elle n’arrive pas à trouver de la légèreté dans ce qu’elle fait, elle ne trouve pas de place pour son humour, elle n’y arrive pas. Elle travaille. 

Un jour, une description, le 17 juillet

11 novembre 2020

Un jeune couple déjeune devant une plage. Il est habillé d’un pantalon en toile beige et d’une chemise blanche. Il est blond avec une chevelure clairsemée et est petit, en tous les cas plus petit qu’elle. Elle est vêtue d’une robe courte et légère bleu ceinturée à la taille. Elle a les cheveux châtains mi-longs avec une courte frange. Elle est mince et bouge avec beaucoup d’élégance, on pense qu’elle a peut-être fait de la danse. Elle propose de faire un selfie de tous les deux devant la mer. Ils se lèvent et vont s’asseoir sur un matelas. Son compagnon s’arrange longuement les cheveux. Ils prennent une première image qui ne lu convient pas. Elle pense alors qu’elle a eu tort de faire cette proposition, qu’elle aurait dû se douter que cela serait compliqué pour lui. Elle sait combien il est complexé par ses cheveux, combien il a peur de son image sur les réseaux sociaux et depuis qu’elle poste des photos d’eux deux sur son compte Instagram, il passe son temps à se recoiffer. Elle se moque un peu de lui mais, là, elle sait qu’il faut surtout qu’elle ne dise rien, qu’elle attende patiemment. Même le rassurer ne sert à rien. Il va chercher ses lunettes de soleil. Elle voit qu’il se sent mieux comme si cet artifice lui donnait l’assurance qu’il n’a pas. Cela la fait sourire, elle se rend compte que cette fragilité la touche.

Un jour, une description, le 16 juillet

10 novembre 2020

Un jeune garçon pieds nus, en pantalon de survêtement relevé et tee-shirt ample et blanc, s’amuse avec les vagues au début de l’automne. On le regarde jouer avec les vagues sous les yeux de sa mère qui est très attentive mais qui fait attention de ne pas en faire trop. Elle regarde cet adolescent et est heureuse d’entendre son bonheur, retrouvant les accents aigus de son enfance quand la mer vous surprend et vous mouille plus qu’on ne le voudrait. Elle se rend compte que quand on regarde son enfant, on ne peut savoir si c’est une fille ou un garçon. C’est ce que son enfant veut jouant volontairement entre attributs de la féminité et ceux de la masculinité, prenant un peu des deux. Au début cela la gênait mais maintenant qu’elle voit et entend cette joie, plus du tout. Elle doit souvent défendre ses choix ou plutôt sa volonté de ne pas choisir face aux autres, la famille, l’école, elle a souvent peur qu’on lui fasse du mal. Elle essaie de le protéger. Elle se bat pour qu’il puisse faire comme il veut. Elle aime l’entendre rire les pieds dans l’eau, elle aime sa liberté. C’est son enfant, et c’est tout. 

Un jour, une description, le 15 juillet

9 novembre 2020

Un homme d’une quarantaine d’années. Il est accompagné de sa femme et de leurs deux jeunes enfants. Elle est jeune avec un visage ouvert et souriant et est très jolie avec des yeux bleus à la fois perçants et doux. Son visage est assez rond et ses traits sont très fins. Ses cheveux châtains clairs presque blonds, sont souvent attachés. Elle est habillée simplement et, assise par terre, elle regarde tranquillement et attentivement ses enfants jouer dans un jardin. Le moment est calme, elle semble le savourer en discutant avec des amis. L’homme, qui semble plus âgée qu’elle, arrive et immédiatement les enfants arrêtent de jouer. La petite fille demande à son père, d’une voie plaintive, de faire quelque chose avec elle et le petit garçon se lève et se met à faire toutes les bêtises possibles. Le père se met à suivre partout le petit garçon, la petite fille pleure, et l’homme se met à lancer des regards noirs et insistants vers la jeune femme qui finit par se lever, par attraper le petit garçon et à l’asseoir entre ses genoux. Son regard enjoué devient lourd d’une grande lassitude, pas à cause des enfants, mais pour ce que la présence inquiète et angoissante du père produit sur eux et montre de lui. Elle est aussi un peu gênée devant ses amis qui ont vu le calme s’enfuir avec perplexité. Elle regarde ailleurs, lance un grand soupir, se reprend et sourit à nouveau.

Un jour, une description, le 14 juillet

8 novembre 2020

La jeune femme est très brune, elle porte un chignon haut et a de jolis yeux bruns clairs. Elle fait un remplacement dans un cabinet médical car la secrétaire doit garder ses enfants. Elle n’est pas très rassurée de venir travailler dans ce cabinet de pneumologie car elle pense que la plupart des patients doivent venir avec la suspicion d’avoir attrapé le virus. Elle a longuement cherché un masque très sûr et a trouvé un masque noir, épais, avec des pressions à l’arrière comme cela elle ne sera pas tentée de l’enlever et de le garder sous le nez ou sur le menton. Quand elle se voit avec ce masque dans le reflet des vitrines, elle se fait peur puis rit en pensant qu’elle ressemble à Dark Vador et s’amuse à parler comme lui alors qu’elle marche seule. Elle arrive au cabinet et est très surprise par l’organisation très précise et du peu de patients. Elle se sent un peu ridicule avec ce masque derrière sa protection en plexiglas. D’autant plus qu’elle est souvent en difficulté car elle ne connait pas grand chose au fonctionnement et qu’en plus les patients ne comprennent pas ce qu’elle dit. Souvent, elle doit aller voir le médecin et elle voit bien que son apparition masquée de noir créé chaque fois un mouvement de recul effrayé chez les patients. Elle est d’abord embarrassée puis elle finit par en sourire, mais personne ne perçoit cette gaieté dérobée. 

Un jour, une description, le 13 juillet

7 novembre 2020

Un maître d’hôtel d’un restaurant de plage assez chic. Tous les jours, il doit veiller à tout mettre en place et à se tenir prêt. Il aime cette routine, consulter les réservations, organiser les tables, et puis accueillir les gens, les conduire à leur table, les installer. Faire tout cela avec calme et en souriant, c’est son métier. Pourtant, il se sent démuni. Certes, le restaurant a pu réouvrir mais ils doivent tous porter le masque, tout le personnel, les clients quand ils arrivent et se déplacent, et lui. Comment les accueillir en souriant ? Il essaie devant une glace de sourire avec les yeux, il s’exerce à parler plus, à être plus expressif. Il fait de son mieux. Il fait chaud, il ne doit pas faillir et il garde son masque malgré la buée sur les lunettes et malgré la sueur. Il a peur que les clients voient cette sueur qu’il essuie régulièrement en cachette. Ce geste de s’essuyer lui semble horriblement intime, quelque chose de corporel qui ne doit surtout pas apparaître dans son travail. C’est pire que d’avoir une tâche. Il se sent honteux et envie l’insouciance des jeunes serveurs qui s’essuient à grands coups de mouchoir devant tous et dès qu’ils le peuvent s’affalent sur une chaise. Il veut tenir. Ne pas montrer les humeurs et son humeur, rester à cette place qui est la sienne. 

Un jour, une description, le 12 juillet

6 novembre 2020

Deux petits garçons d’environ sept ans sur le quai d’un tout petit port. Il se retrouvent chaque été depuis qu’ils sont tout petits, l’un habite l’île, l’autre y vient en vacances dans la demeure familiale. Celui qui vit là est habillé très simplement d’un short, d’un polo et de claquettes. L’autre est plus savamment vêtu avec un bermuda et un tee-shirt à la mode. Il est pieds nus et dit que « c’est trop bien » et que son copain devrait essayer. L’autre lui répond que c’est hors de question, qu’il y a trop de choses sales et coupantes par terre. Celui qui vit là, chaque année montre à son ami qui vient d’arriver, les nouveautés, le bateau qui a coulé, celui qui a été refait, les nouveaux équipements de plongée, des photos des poissons qu’il a pêché, de nouveaux endroits qu’il a découvert et sa nouvelle cabane. Celui qui arrive fait semblant de ne pas trop s’intéresser à tout cela, regarde sans commenter, fait la moue. Peu à peu les rôles s’inversent. Dès que l’un des deux doit prendre la parole, c’est le vacancier qui parle, explique, montre les endroits, la cabane. Il est vite bronzé, parlant facilement aux adultes, se montrant charmant avec tous, il devient celui qui mène la danse. L’autre ne dit rien, il a l’habitude, c’est comme chaque été. Mais l’été prochain, c’est certain, il ne lui montrera pas tout et se fera une cabane secrète où il pourra se réfugier, seul. 

Un jour, une description, le 11 juillet

5 novembre 2020

Une jeune femme avec ses deux petites filles dans une jardinerie. Cela fait une heure qu’elles se promènent dans les allées pour acheter du terreau, des fleurs, des pots et les petites filles en ont assez. Elles sont fatiguées. Et puis chaque fois qu’elles ont voulu quelque chose leur mère a dit non. Des très belles fleurs en plastique, des tous petits pots avec des minuscules plantes grasses, un nichoir en forme de petite cabane en faux rondins, un joli vase rose avec des fleurs bleues, leur mère n’a rien voulu entendre. Les deux fillettes n’aiment pas cette jardinerie parce qu’il n’y a pas d’animalerie, elles préfèrent l’autre où elles peuvent voir, chiens, chats, tortues, poissons, oiseaux mais leur mère ne veut plus y aller car chaque fois cela se termine mal. Elles veulent un chien. Quand elles arrivent toutes trois vers la caisse, l’ainée va se promener un peu plus loin et pousse une exclamation de joie. Elle revient avec deux petits chiens en résine et demande qu’on les leur achète. La mère dit non, résiste aux pleurs et puis finit par céder en disant à voix haute qu’elle n’en peut plus de dire non et qu’au moins, ça, ce n’est pas un vrai animal. Elle regarde avec dégoût les deux chiens colorés. Elle se dit qu’elle aurait peut-être préféré le nichoir en faux rondins. 

Un jour, une description, le 10 juillet

4 novembre 2020

Un homme qui déjeune sur une plage avec son compagnon et la mère de l’un d’entre eux, sûrement la sienne car il est face à elle. Il a choisi cette plage mais il n’est pas certain que sa mère soit contente et il a peur qu’elle commence à être désagréable comme elle sait si bien le faire. Déjà, quand elle a vu qu’il était en short et tongs, elle lui a fait une réflexion. Il pensait que pour un déjeuner à la plage, c’était la bonne tenue. Mais comme d’habitude, quand ils sont arrivés au restaurant, il voit qu’il a tout faux, il se rend compte que c’est une plage assez chic et que tout le monde est habillé légèrement mais avec recherche. Il se sent mal à l’aise et n’ose pas croiser le regard de son compagnon qui lui avait dit de mettre au moins un pantalon et qui doit se moquer de lui intérieurement. Il décide de faire comme si de rien n’était et parle, commente, se réjouit, commande à boire, goûte. Quand il commande une énorme glace comme dessert, sa mère lui dit qu’il exagère, qu’il est bien assez enveloppé comme cela et elle prend à témoin son compagnon qui sourit. Il déteste quand ils font ça. Il ne dit rien. Quand arrive la glace, il plonge sa cuillère dans la chantilly et regarde la mer, il a décidé de ne pas pleurer.

Un jour, une description, le 9 juillet

3 novembre 2020

Une femme d’environ une cinquantaine d’année attend pour pouvoir entrer dans un magasin. Une fois entrée, elle manifeste vivement son mécontentement mais on ne sait pourquoi. Elle vient presque tous les jours. Elle préfère cela plutôt que de gaspiller. Quand elle entre dans le magasin de fruits et légumes, elle déteste qu’il y ait quelqu’un d’autre car il faut qu’elle prenne son temps. Elle doit regarder les prix et, en fonction de ce qui est le moins cher, elle pense à ses deux repas. Elle se sert avec soin et essaie de calculer le poids, et donc le coût, de chaque chose pour avoir assez d’argent pour payer. Elle voit des gens autour d’elle qui remplissent leur panier, qui achètent les meilleurs produits, les plus chers. Cela la met en colère, non pas qu’ils le fassent mais de ne pas pouvoir le faire. Elle préfèrerait ne pas voir cette opulence, c’est aussi pour cela qu’elle guette les moments où le magasin est vide. Quand elle va pour payer, c’est toujours la même chose, elle a peur de ne pas avoir assez. Même si elle sait que le commerçant qui la connait bien lui ferait crédit, elle a quand même peur. Elle ne veut pas avoir à dire à haute voix, en faisant semblant que cela ce n’est pas grave : « oh, je n’ai pas assez » et entendre répondre « mais ce n’est pas grave, vous me paierez demain ! ». Elle ne veut pas, plus. C’est tout.

Un jour, une description, le 8 juillet

2 novembre 2020

Dans un port d’une petite ville du Sud de la France, il y a au moins dix voiliers quasiment alignés sur un quai. Ils se ressemblent. Ils sont quasiment tous la même taille, le même blanc avec quelques lignes colorées, ils ne sont pas neufs mais sans être abîmés à part un ou deux qui ont l’air quasiment abandonnés. Sur tous ces bateaux, des hommes travaillent comme s’ils s’étaient donné le mot. On se rend compte que nous sommes un dimanche, que le temps ne permet pas de sortir mais que tous ces capitaines sont venus quand même. Alors à défaut de pouvoir naviguer, ils réparent et rangent. On ne sait s’ils préparent de prochaines sorties ou s’ils remettent tout en ordre après une sortie en mer mais ils font tous la même chose, parfois en décalé. Au début, ils se saluent de loin quand l’un d’entre eux arrive, puis peu à peu, ils parlent, s’invitent, boivent des cafés. Au moment de l’apéritif, on voit que ces hommes se sont regroupés sur deux bateaux assez éloignés l’un de l’autre, comme s’il y avait deux clans que pourtant rien ne distingue de l’extérieur. Ils plaisantent, racontent et rient avec le même accent, de la même façon. On se demande quelles histoires souterraines, quelles amitiés, quelles rivalités, quelles fidélités agitent ce tout petit monde pour qu’ils ne se retrouvent pas tous ensemble. pourtant, quand ils commencent à repartir les uns après les autres, ils se saluent tous à la cantonade et tous répondent. A l’unisson.

Un jour, une description, le 7 juillet

1 novembre 2020

Un homme fort, assez jeune, au bord d’un trottoir qui attend pour traverser. Il s’est habillé comme tous les jours pour sortir et aller courir. Il a mis son short noir, ses baskets noires montantes et choisis soigneusement un grand tee-shirt noir pour aller avec. Il fait beau alors il prend sa casquette juste avant de partir. Dans la rue, il marche d’abord à petits pas en vérifiant qu’il n’y a pas trop de monde. Puis il se met à courir tout doucement et il emprunte un chemin qu’il connait bien pour aller à la mer. Il est déjà essoufflé. Comme tous les jours, il arrive au carrefour avec le grand boulevard à traverser. Il attend et sautille pour se donner un peu de courage. Quand il peut passer, il hésite, prend son élan, entend un moteur, s’arrête, attend, quand il reprend son élan, il entend un cri d’enfant, il s’arrête. Quand les voitures peuvent redémarrer, il n’a pas avancé et comme cela pendant de longues minutes. Il fume une cigarette. Il n’arrive pas à traverser. Il n’y arrive jamais. Chaque bruit le rejette sur le trottoir. Mais il essaie, tous les jours. 

Un jour, une description, le 6 juillet

31 octobre 2020

Deux jeunes femmes dans un restaurant qui sont visiblement au début de leurs vacances dans une petite île du Sud de la France, un petit paradis. Elle sont arrivées la veille dans un joli hôtel qui donne sur la place centrale. L’une des deux jeunes femmes, la plus ronde, semble en colère. Quand elles sont arrivées, son amie a tout de suite été très à l’aise, cette île était le lieu de vacances de sa famille et elle y est ensuite revenue avec des amies. La jeune femme sait qu’elle devrait être contente que son amie veuille lui faire partager ce lieu mais elle s’y sent mal, pas à sa place. L’hôtel est trop mignon, le petit village, trop touristique, la mer, trop bleue, les restaurants, trop chers, elle pense que son amie est trop happée par ses souvenirs et par la beauté de l’endroit. Elle ne sait pas si elle est jalouse de l’île ou de ce qu’elle y a vécu. Elle n’arrive pas à le dire alors elle décide d’être odieuse et de manger n’importe quoi. Elle sait qu’elle a tort mais elle ne sait pas faire autrement et le calme de sa compagne l’énerve encore plus. Elle voudrait qu’elles se disputent pour pouvoir se réconcilier et pleurer. 

Un jour, une description, le 5 juillet

30 octobre 2020

Un couple de trentenaires italiens sur une plage. Ils sont d’abord allongés côte à côte et écoutent la même chose avec chacun, un écouteur dans une oreille. Ils sourient en même temps et se regardent de temps en temps. Il se met à chantonner fort et elle lui fait signe, il ne la voit pas et elle est obligée de lui taper sur le bras pour qu’il s’arrête. Il est vexé ou gêné et enlève son écouteur. Il regarde autour de lui comme figé et on perçoit qu’il n’a pas l’habitude d’être là. Ses gestes sont empruntés et il ne bouge pas de son matelas alors que sa compagne va et vient avec naturel, commande à boire, farfouille dans ses affaires, plaisante. Elle perçoit cette gêne et tente de le dérider d’abord par un massage puis en allant se baigner. Dans l’eau, il est plus à l’aise, il nage très bien et s’éloigne volontairement d’elle comme si là, c’était son territoire à lui. Elle joue le jeu et minaude. Quand ils reviennent, il s’allonge tout de suite. Elle lui propose d’aller déjeuner au restaurant, il est content mais il regarde comment sont habillés les autres hommes pour ne pas l’être trop ou pas assez. A table, on les voit discuter, on le voit l’écouter, elle s’anime et parle avec vivacité, il lui répond, on voit qu’il se sentent tous les deux à l’aise et que c’est, enfin, un territoire partagé. 

Un jour, une description, le 4 juillet

29 octobre 2020

Un homme lourd, âgé mais moins qu’il n’y paraît certainement, qui vend des objets sur le côté d’un marché. Son camion est plein mais il ne veut pas déballer, il a été chercher des meubles dans une maison la veille et il n’a pas eu le temps de bien les regarder, d’en profiter. C’est ce qu’il aime faire : aller dans des maisons, en sentir l’atmosphère, remarquer des petits détails, et puis choisir ce qu’il va emporter ou bien, comme souvent, devoir tout prendre. Ensuite, il revient dans son hangar et il déballe et là, il découvre. Il voit apparaître des choses banales, sans grand intérêt, mais qui peuvent être touchantes et puis, parfois des belles choses et même de très belles choses. Il trie, il nettoie, il cire, il lustre, il répare, il installe parmi d’autres meubles et objets. Il déteste devoir tout remballer, réfléchir aux prix, exposer, parler, négocier et vendre. Il aimerait que quelqu’un d’autre le fasse à sa place. Ce n’est pas pas ça son métier. Son métier c’est d’inventer l’histoire de ces objets, de faire saillir leur beauté et de leur trouver une place dans son univers. Chaque fois, qu’un objet part, il réinstalle tout, il faut qu’il leur retrouve une histoire commune. Il ne sait pas s’il préfère tout garder ou bien s’il aime quand même bien que certaines choses soient vendues pour pouvoir tout refaire, sans cesse. 

Un jour, une description, le 3 juillet

28 octobre 2020

Une place très minérale d’une petite ville du Sud de la France. Quand on regarde cette rénovation récente, on se demande comment quelqu’un a pu concevoir une place sans un arbre, sans un banc, sans un coin d’ombre à cet endroit alors qu’il fait extrêmement chaud. Comme si le but était de faire le vide alors que nous sommes à la pointe d’une île qui aurait pu devenir un lieu de rencontres et de repos agréables. Même les bassins, interdits à la baignade, dans leur soit-disant belle conception urbaine sonnent faux entre marbre, granit, écoulement savant et sculpture laide. Heureusement, les enfants n’y voient que la possibilité de se baigner dans une eau fraiche et ont fait la conquête de ce lieu et de ses berges bravant le soleil. Ils plongent et sautent dans les canaux, pataugent, courent, rient, crient, leurs mères les surveillant, installées comme sur une plage. On se prend à rêver qu’on aurait pu penser autrement à ceux qui ne peuvent pas aller à la plage loin de trente kilomètres, coincés dans la chaleur. On aurait pu aménager cet endroit juste avec des arbres et de l’eau pour eux. On admire leur vitalité et leur tranquille simplicité de venir se mettre précisément là et faire “cité” par leur seule présence joyeuse et bruyante, là où on ne voudrait faire qu’une ville faussement embellie et morte.

un jour, une description, le 2 juillet

27 octobre 2020

Le quai d’un port qui rutile de yachts immenses, brillants, comme boursouflés, obscènes. On commence par les regarder, puis on se rend compte qu’ils sont là pour cela, qu’on les regarde depuis le quai. Tous les bateaux ont leur pont arrière face au quai. Le grand deck extérieur aménagé en un vaste salon est donc comme une petite scène et nous sommes les spectateurs. On voit des gens qui parlent, mangent, boivent, dansent, sont bien habillés, parfois de manière très clinquantes. Chaque bateau a sa petite scène et sa tonalité : plus chic, plus « british », plus jeune, plus rock, plus bohème, plus famille, etc… On pense aux émissions de télé-réalité. On est dedans, on se sent à la fois honteux d’être pris au piège du regard et perdu car on ne sait plus où on est, la petite ville, le paysage, l’histoire, tout a été aspiré par le spectacle outrancier. Les plus jeunes sont les plus bruyants, les plus ostentatoires, jouant à être heureux, à être beaux et riches. Leurs rires stridents nous glacent évoquant certains films américains montrant le désespoir d’une jeunesse dorée sans avenir. On les regarde en se demandant ce qu’ils vont devenir, fils et filles “de” déglingués ou femmes et hommes d’affaires brillants et impitoyables ? On se surprend à avoir peur pour eux.

Un jour, une description, le 1er juillet

26 octobre 2020

Petit, très petit, un homme d’une trentaine d’années sillonne un marché sous le soleil. Ce matin, il y avait sur son lit des habits propres, ceux qu’il aime bien, surtout le pantalon avec le pli. Il s’est habillé avec soin et il est sorti rejoindre sa famille partie depuis tôt le matin pour monter l’étal et installer les fruits et légumes. Quand il arrive sur le marché, il préfère d’abord faire ce qu’il appelle « son tour » même s’il sait qu’il marche mal et lentement. Il regarde tout, vérifie que tout le monde est à sa place et il ne se rend pas compte que cela fait plusieurs fois qu’il passe aux mêmes endroits. Il oublie. Dans ces lancinants tours entre les étals, il finit par perdre le sens du temps mais tout à coup il a chaud. Il se dirige alors d’un pas très sûr vers un étal, le sien. Il se met debout à l’ombre, sa mère l’a vu et lui sourit. Il regarde tous ses gestes, il entend les voix, les prix annoncés, les paroles de politesse, les plaisanteries, ça le berce. Il se balance doucement et se redit ce qu’il entend. Comme une litanie, familière et étrangère car chaque dimanche il faut qu’il l’apprivoise à nouveau. 

Un jour, une description, 30 juin

25 octobre 2020

Le médecin vous appelle et vous entrez dans son cabinet à l’intérieur d’un grand hôpital. Il a son masque. Evidemment, vous le reconnaissez, mais lui, non. Il voit une personne toutes les quinze minutes et vous êtes aussi masquée. Il reprend votre dossier, et peu à peu se rend compte qu’il vous connait déjà, vous a même opéré et que vous êtes une de ses patientes récurrentes. Il pose ses questions habituelles puis il vous examine et pour cela vous devez enlever votre masque. Lui, non. Il s’approche de vous et alors que vous avez tellement l’habitude de ce qu’il va faire, vous vous sentez étrangement vulnérable et mal à l’aise. Oppressée. Comme si cette dissymétrie dans le dévoilement du visage, l’un et pas l’autre, créait une situation de pouvoir inversé, comme si avoir le visage a découvert revenait à une forme de nudité. Quand l’examen est terminé, il vous parle toujours masqué et vous, le visage a découvert. Vous remettez vite votre masque et vous vous sentez mieux. A la fin du rendez vous, c’est lui qui enlève son masque pour vous parler, il veut humaniser ce qu’il a à vous dire. Protégée derrière votre masque, vous écoutez sans parler, vous “encaissez”, vous pouvez faire semblant. 

Un jour, une description, 29 juin

24 octobre 2020

Une très jolie jeune femme à la terrasse d’un café avec son petit garçon qui doit avoir deux ans. Il est habillé comme un adulte miniature avec des « converse », un jean, un tee-shirt noir avec un dessin qu’on ne distingue pas, un mini blouson de cuir posé à côté de lui. Ses cheveux courts sont travaillés avec du gel. Il joue avec le téléphone de sa mère en grignotant du pain mais dès que la copine de celle-ci s’installe à leur table avec son chien, il fait semblant. Il écoute comme toujours les adultes parler, il ne comprend pas tout mais il saisit au vol des bribes. Parfois des choses qui le concernent. Dès qu’il entend qu’elles parlent de lui et de son père, il commence à battre des pieds dans le vide. Il est en colère, il est inquiet, il a bien saisi que sa mère allait faire des choses sans lui en le laissant à son père, il tape du pied le chien en s’en apercevant à peine. Il fait d’abord tomber son quignon de pain mais le chien le happe et personne ne s’en aperçoit. Alors il fait tomber le téléphone qui rebondit sur le chien puis par terre. Il se fait gronder. La conversation a cessé. On pense qu’il doit être plus grand qu’il ne le paraît. Ou qu’il a trop vite grandi. 

Un jour, une description, 28 juin

23 octobre 2020

Elle écrit à son bureau, sérieuse, appliquée mais elle doit se dépêcher. Elle s’en va. Elle sait qu’elle pourrait continuer d’écrire et de publier une description là où elle va, mais elle sent qu’elle ne doit pas le faire. Elle pense qu’elle a besoin de son bureau pour le faire. Que c’est le lieu où elle peut travailler et trouver la distance. La justesse. Elle va regarder et revenir. 

Un jour, une description, 20 juin

22 octobre 2020

Une femme d’une quarantaine d’années sort d’un pas décidé d’une serre reconvertie en pépinière. Elle travaille là depuis des années. Avec une amie d’enfance, elles ont créé cet endroit dans ce qui était une des serres de ses parents agriculteurs. Peu à peu, elles ont agrandi les lieux et accueillent maintenant aussi d’autres produits qu’on leur dépose : du miel, de l’huile, des confitures,… Mais elle n’aime pas trop être dedans, elle préfère s’occuper des plantes qui sont à l’extérieur, les choisir quand des clients le lui demande, faire les semis, vérifier les pousses, doser au mieux l’arrosage, repiquer, mettre en pot, faire des mélanges de terre différents, gérer le compost et les engrais, c’est son domaine. Son territoire. Elle n’aime pas mettre des gants, elle n’en a jamais mis même si elle a les mains abîmées. C’est important de pouvoir sentir le tassement de la terre, la souplesse des feuilles et des tiges. Depuis qu’elle y est obligée par les contraintes sanitaires, elle a l’impression de moins bien travailler, elle se sent gauche. Comme si on avait plastifié ses mains mises ainsi à distance de tout ce qui fait précisément son travail. Alors souvent, elle triche. 

Un jour, une description, 19 juin

21 octobre 2020

L’homme a une cinquantaine d’années. Il est assis à la table commune sur la petite terrasse. Il travaille avant son cours. Il écrit au stylo-bille noir sur des feuilles de papier blanc avec une telle force que le papier s’en déchire presque. Il se relit et souligne avec plus de force encore certains passages, plonge dans la liasse de papiers déjà écrits devant lui, cherche, trouve un élément, le lit, reprend le fil de son texte. Autour de lui, un cendrier avec une cigarette qui fume, un vieil ordinateur portable fermé, trois livres cornés, annotés avec des marques-pages qui dépassent, des dossiers verts et roses remplis de feuilles écrites, des documents administratifs, un mug de café, son téléphone, un volumineux sac à dos de montagne, un blouson de cuir et un billet de train fripé. Il est complètement pris dans le travail mais répond aux saluts de ceux qui passent devant lui. D’un coup, il se rend compte qu’il doit aller faire cours et il regarde désarçonné tout le bazar autour de lui qu’il entreprend rapidement de ranger. Il fait tomber ses feuilles et les mélangent. On le voit alors à genoux en train de les reclasser, toutes les feuilles étalées formant un tapis écrit qui menace de s’envoler et cela le fait rire. Comme s’il savait que sa maladresse brouillonne mettait en péril le travail accompli mais qu’il ne pouvait faire autrement, que cette mise en danger faisait partie du processus pour pouvoir ensuite se mettre face à l’amphithéâtre plein et créer un monde commun, un « en-commun », avec les étudiants fragiles et inquiets devant la pensée déployée. 

Un jour, une description, 18 juin

20 octobre 2020

Un jeune homme s’arrête avec son vélo-taxi devant un bar ancien devenu branché d’un quartier ancien et piéton. Il vient tous les jours à la même heure chercher une vieille dame à cette terrasse. Il va en fin de matinée chez elle, l’amène au bord de mer et la dépose. Ensuite, il sait qu’elle se promène, fait le marché et va s’assoir dans le café où il vient la chercher. Il est devenu chauffeur de vélo-taxi par hasard mais cela lui convient bien, il est sportif et il ne craint ni la chaleur, ni le froid. Il préfère cela aux chantiers. Parfois, il a des gens désagréables dans son taxi mais il essaie de ne pas faire attention. Il aime bien cette vieille dame même si, au début, il avait été choqué parce qu’elle lui tapait sur l’épaule pour lui donner le signe du départ. Il avait trouvé cela condescendant et puis il s’y était fait, aimant bien en définitive cette familiarité désuète. Elle lui avait demandé de l’appeler par son prénom « Josette » qu’il prononçait « Djosétt ». Quand à elle, elle l’appelait « Antone » rajoutant un e à son prénom. A quelques détails, forcément, ils avaient appris des choses l’un sur l’autre mais sans plus. Chaque jour, ne se disant pas grand chose, Antone et Djosétt font un bout de chemin ensemble, l’un pédalant pour l’autre.

Un jour, une description, 17 juin

19 octobre 2020

Un hôtel de luxe des années quatre-vingt sur le bord de mer d’une grande ville balnéaire. Il a toujours été laid et continue de l’être mais avec un aspect défraîchi en plus. Le rez de chaussée réussit l’exploit de réunir un casino et un « Mac Do » côte à côte dans une débauche de plastiques colorés clinquants. Les chambres donnent sur la mer et on voit, sur les rambardes des baies vitrées, des serviettes de plage qui sèchent. Cela nous surprend car dans les hôtels de luxe, le plus souvent, il y a des sèches-serviettes prévus pour cela. On pense au linge qui sèche aux fenêtres dans les quartiers populaires de cette ville presqu’italienne. On a le sentiment que quelque chose tangue dans le décorum. Derrière et sur le côté de l’hôtel, des rues grises, en chantier, avec des voitures, un parking, des baraques, alors qu’on est au cœur de la ville, à deux pas d’un beau jardin public et du quartier des boutiques chics. Quelque chose dont on ne sait si cela se délite ou si, au contraire, cela est en train de se reprendre. Comme cet hôtel, la ville semble suspendue dans cet entre-deux, entre la rutilance obligée d’une cité touristique et la crudité d’une métropole, après tout, banale.

un jour, une description, 16 juin

18 octobre 2020

Une jeune femme sur un matelas et sous un parasol d’une plage privée, allongée, tout au bord de la mer. Son compagnon est allongé sur son matelas, à côté d’elle et lit un roman. Il travaille énormément et ces moments où il n’entend que le bruit de la mer, où il peut tout oublier, aller nager, se sécher au soleil et se replonger dans son livre, sont rares et précieux. Il n’a pas envie de parler, il a coupé son téléphone et il profite de ce temps qu’il s’est accordé exceptionnellement. Du coin de l’œil, il voit que sa compagne s’habille, se maquille, se coiffe mais il n’y prête que peu attention, c’est son rituel à elle qui ne peut supporter de ne pas se sentir parfaite pour faire deux pas. Il la voit s’éloigner et pense qu’elle va réserver une table pour déjeuner ou qu’elle va au toilettes. Il ne bouge pas, il n’a pas faim, il lit. Il s’aperçoit qu’elle est revenue car il entend très légèrement la musique qui sort de ses écouteurs. Il se rend compte qu’il n’a pas fait attention à son retour et que peut-être elle lui a dit quelque chose. Il hésite à lui parler et puis il renonce, il fait perdurer le silence. Il entend le ruissellement des galets et décide d’aller se baigner. Il nage et il se dit que cela prolonge cet état de suspension ouatée dont il profite très égoïstement. Il le sait.

un jour, une description, 15 juin

17 octobre 2020

Un homme à la caisse d’un magasin de meubles et d’objets. Il sait que les gens attendent, qu’ils en ont assez mais ils ne sont que deux et il faut tout faire, être en caisse, servir en magasin, emballer, répondre aux questions. Il est là, debout depuis huit heures, il est fatigué et ne rêve que d’une chose, rentrer chez lui. Les gens ne sont pas désagréables, ils sont même patients mais, lui, qui vend des tables, des canapés et des lampes rêvent de son canapé, de sa table, de sa télé. Il essaie d’être quand même avenant et drôle et les gens, pour la plupart, entrent dans son jeu. Il a remarqué qu’une femme se tient en retrait et ne sourit pas à ses « vannes ». Ils vont voir ensemble une table qu’il aimerait bien vendre enfin car elle est là depuis longtemps. Il pense qu’il va lui parler « famille » puisque c’est une grande table familiale. Il lui dit que ça va être formidable de manger sur cette belle table ce qu’elle cuisine pour son mari et ses enfants. Elle le regarde avec des grands yeux sans sourire. Il ne comprend pas. Il a fait de son mieux. Il n’envisage pas un instant qu’elle ne soit pas mariée, qu’elle n’ait pas d’enfant ou que ce ne soit pas forcément elle qui cuisine.

un jour, une description, 14 juin

16 octobre 2020

Une femme assez âgée assise à une table qui parle avec deux personnes. Elle est agacée. Elle trouve, une fois de plus, qu’on ne la laisse pas assez parler alors qu’elle en sait plus que tous sur le sujet. Elle pense souvent qu’elle, elle sait et elle admet peu la contradiction. Ce n’est pas l’âge qui l’a rendue comme cela, elle l’a toujours été. Elle n’en a que rarement conscience, il faut vraiment que quelqu’un en qui elle a confiance, le lui dise au bon moment, en flagrant délit, pour qu’elle accepte de l’entendre. Elle a très envie de couper la parole de la personne qui parle et ne peut réprimer des gestes d’agacement. Elle est certaine que ce qu’elle veut dire est essentiel et elle a très peur d’oublier. Son visage se ferme et elle n’écoute plus, elle se dit et redit l’idée qu’elle veut développer de peur qu’elle lui échappe. Evidemment, du coup, quand elle prend la parole, n’ayant pas suivi ce qui a été ajouté, parfois elle répète ce qui a déjà été dit, ou se trouve en décalage. Elle a horreur qu’on le lui fasse remarquer et devient vite agressive, rembarrant celui qui a osé intervenir d’un « et bien, oui c’est ce que j’ai dit » et laissant tout le monde bouche bée. Ce qui est le but.

un jour, une description, 13 juin

15 octobre 2020

Une conversation entre cinq personnes dont certains semblent bien se connaître et d’autres presque pas. Un homme âgé, assis très confortablement sur sa chaise, les jambes croisées, son verre de rosé à la main, savoure ce moment. Il aime beaucoup cette place et ce café et y vient souvent prendre l’apéritif mais seul. La présence des autres le ravit, il les écoute et cela lui suffit. Il sent bien que parfois la conversation s’emballe, que sur certains sujets, il devrait dire quelque chose mais il ne le fait pas ou peu. On ne sait s’il n’en a pas envie ou bien s’il n’est pas certain d’avoir quelque chose d’intéressant à dire. Et d’ailleurs, quand il prend la parole, il tombe à côté mais n’a pas l’air du tout d’en être froissé ou même de s’en apercevoir. On se dit qu’il fait l’effort par pure convention sociale mais que la conversation ne l’intéresse pas vraiment et qu’il l’écoute par intermittence. Peut-être qu’il ne peut prêter attention qu’aux sujets qui le touche de près. On ne sait si c’est par indifférence aux autres ou parce que, de s’abstraire du débat, lui permet de juste de mieux profiter de ne pas être seul.

un jour, une description, 12 juin

14 octobre 2020

Un homme d’une trentaine d’années boit un café avec deux amis de son âge. Il est particulièrement soigné. Il aime que les choses soient nettes : la fine barbe, la nouvelle coupe de cheveux, la chemise immaculée avec les manches retroussées exactement à la même hauteur, sa montre dorée préférée et ses deux bracelets fétiches. C’est essentiel pour lui de donner une image d’énergie et de maîtrise de soi. Surtout aujourd’hui. Son candidat préféré d’une émission de télé-réalité a perdu. Celui-ci qui avait de vraies valeurs et les plus belles qualités, celui en qui il se projetait chaque semaine, a perdu la veille. Il a l’impression que c’est lui qui a été trahi. Il est en colère et quand il parle avec ses amis, il dit « nous » pour parler du candidat et lui. Comme s’ils faisaient cause commune. Contre la gagnante, une femme, contre l’émission, forcément truquée, contre les autres candidats, imbéciles, contre les spectateurs, idiots qui n’ont pas su voir les qualités de son candidat. Contre tous ceux qui ne savant pas reconnaître un homme vrai. Sa colère est presqu’enfantine et on a le sentiment que, sans sa tenue au cordeau, il pourrait se mettre à pleurer.

un jour, une description, 11 juin

13 octobre 2020

Un couple d’un certain âge est assis du côté “lounge” d’un restaurant sur la plage. Il ont choisi de se mettre au bout de la plage dans des grands fauteuils en plastique coloré car ils pensent qu’il y seront tranquilles et que lui, si grand, y sera bien. Ils commandent à boire et regardent la mer. Ils ont passé tellement de temps seuls, ils n’ont pas envie de parler. Leurs boissons arrivent, ils les sirotent. Puis, au bout d’un moment, presqu’ensemble, ils sortent leur I-pad et leur téléphone portable. Ils ont tellement l’habitude du tempo de leurs rituels de ces dernières semaines que, sans rien se dire, ils regardent la même chose, lisent les mêmes choses quasiment au même moment. Parfois ils se sourient. Cette complicité entre eux qui ne passent pas par la parole semble étrange. Eux, il leur semble qu’ils ont passé l’après-midi à dialoguer. Peut-être que ce soir, ils reparleront de certaines des choses qu’ils ont vues ou entendues ou peut-être pas. Ce qui compte c’est qu’ils en ont fait l’expérience ensemble, au même moment, au même endroit et qu’ils en ont souri à l’unisson.

un jour, une description, 10 juin

12 octobre 2020

Un homme seul qui regarde la mer. Il est inquiet. Tout a changé, il n’a plus ses marques. Il faisait tous les jours la même chose : partir de chez lui en fermant bien la porte, descendre le boulevard, arriver sur la promenade, marcher, s’arrêter toujours au bar de la même plage pour prendre un sirop à l’eau, discuter un peu avec le serveur et repartir pour rentrer chez lui. Après des semaines pendant lesquelles il n’a pas pu le faire, il se sent perdu et même trahi : la plage a fermé avec son bar, il n’y a plus une table et plus de serveur. Il s’assied et boit de l’eau exactement là où devrait être le bar de la plage. Il regarde, essaie de se repérer, guette stupidement le serveur, il se sent seul et oppressé comme si on lui avait enlevé quelque chose. Il ne supporte pas que ce territoire qu’il avait fini par apprivoiser ait été changé. Il le prend comme une atteinte personnelle. Il essaie de se tranquilliser en regardant la mer mais il n’y arrive pas. Il rentre chez lui en courant.

un jour, une description, 9 juin

11 octobre 2020

Un jeune papa et sa petite fille entrent dans la boucherie. Elle n’aime pas cette odeur un peu fade. Elle regarde devant elle, elle est juste à la hauteur de la vitrine. Elle voit des bouts rouges, des tas roses, mous, elle ne comprend pas. D’habitude, elle ne vient pas dans ce magasin mais là elle n’a pas école ou plutôt, elle a école à la maison. Elle se dit que c’est peut-être comme le marchand d’en face où il y a des fruits et légumes et où elle va souvent. Mais elle ne reconnait rien et ça lui fait un peu peur. Surtout, un gros morceau rouge avec un os dedans juste à côté d’elle. Elle voit bien que c’est un os, elle a déjà vu un os. Alors, elle regarde devant elle, une tête, un bec, et elle dit « banane ». Elle sait que ce n’est pas une banane mais elle aime bien les bananes et le mot. Elle le répète et comme cela, elle apprivoise ces visions effrayantes. Son père essaie de lui expliquer, elle comprend, mais elle dit et redit « banane », ça la rassure. Elle est assez fière d’avoir trouver ce mot et de percevoir l’étonnement des gens autour. Elle grandit.

un jour, une description, 8 juin

10 octobre 2020

Un enfant crie. Il sait qu’il doit apprendre à nager mais il ne veut pas. Il aime beaucoup l’eau à la plage et à la piscine, il aime jouer, sauter mais avec ses brassards. Il voit bien que les autres aiment nager mais lui, cela lui convient parfaitement comme ça. Il ne comprend pas pourquoi c’est si important et n’a pas envie. Mais il voit bien que son père approche d’un air décidé. Il pleure mais son père le tient bien, lui enlève ses brassards et lui montre comment faire les mouvements de la brasse. Il fait les mouvements sagement, il commence à se sentir mieux, il avance. Tout à coup, il sent qu’il est seul, il a peur, il ne voit plus son père, il se débat, il boit la tasse, il a de plus en plus peur puis son père le sort en fin de l’eau en riant. Il le déteste. Il entend les rires des autres. Il ne fera plus jamais, jamais rien avec lui. Il refuse de faire quoi que ce soit et dit non très fort à tout. Il voit bien que cela embête son père. Alors il dit non encore plus fort. Il est très content. Il grandit.

un jour, une description, 7 juin

9 octobre 2020

Une serveuse dans un café sur une grande place d’un marché du centre ville. C’est le premier jour de réouverture. Elle est heureuse de retrouver sa terrasse, l’odeur et les bruits du marché même s’il n’y a pas encore grand monde. Dès que le café ouvre, les gens arrivent. Et ça commence. Ils s’interpellent, rigolent, et sont heureux mais ils ont toujours les mêmes exigences : mon café mais pas trop serré, ma noisette mais bien claire, et mon verre d’eau, tu as un croissant, un grand crème, vous faites des tartines, une orange pressée avec du sucre, vous avez oublié le sucre, … Ils ne respectent pas les règles, ils mettent le masque sous le nez pour lui parler et sont plusieurs à une même table. Elle ne dit rien, ce n’est pas son rôle. Mais elle se rend bien compte que ça y est, il a suffit de deux heures et elle est énervée. Elle sourit sous son masque. Elle se dit que c’est peut-être cela qui lui a manqué, d’être énervée contre quelqu’un, ça la rassure. Pour fêter ça, elle passe devant des clients qui voudraient commander sans les regarder et s’accorde une pause cigarette.

un jour, une description, 6 juin

8 octobre 2020

Un couple choisit des lampes et des ampoules au rayon luminaire d’un grand magasin de bricolage. Cela fait longtemps qu’ils attendaient de pouvoir y aller, ils avaient repeint leur cuisine en jaune pendant ces deux mois et maintenant, il fallait changer les luminaires qui n’allaient plus du tout avec cette couleur. Ils avaient pris toutes les mesures, ils avaient calculé leur budget, regardé le catalogue et déjà remarqué deux luminaires qui leur semblaient bien. Quand ils sont arrivés au magasin, ils ont été très surpris par le nombre de gens et le nombre de rayons vides. Les deux luminaires qu’ils avaient sélectionné ne sont pas là. Il faut tout recommencer et ils s’affolent un peu, font le rayon de manière désordonnée, lui regarde plutôt ce qui est industriel, elle, ce qui est en bois ou coloré. Ils s’interpellent pour se montrer ce qu’ils trouvent, ils ne sont pas d’accord. Ils s’aperçoivent que les gens les regardent, ils parlent fort. Ils ne savent pas comment faire autrement. Ils partent.

un jour, une description, 5 juin

7 octobre 2020

De loin, on perçoit cinq corps d’hommes adultes, jeunes, sur le toit plat d’un immeuble. Cela fait plusieurs jours qu’ils projettent de monter sur cette terrasse mais ils ont hésité sachant que c’est interdit et que toutes les maisons des collines pouvaient les voir. Ils avaient tellement envie de s’échapper des appartements, des cages d’escaliers, et surtout de se retrouver. Ils sont surpris car il en manque un et soulagés quand il arrive avec un thermos de thé. Ils savent qu’ils doivent faire attention de ne pas être trop près les uns des autres. Ils ont dû mal avec ça parce que, d’habitude, ils passent leur temps à se toucher, à faire des « check », à se bousculer, et ils se mettent toujours très près les uns des autres pour écouter de la musique ou bien fumer. Ils s’amusent quand même, certains font les idiots, ils se font rire. Alors que chacun est dans son coin, ils se sentent quand même libres, un instant, quand l’un d’eux se met à danser avec les collines comme décor.

un jour, une description, 4 juin

6 octobre 2020

Un homme s’arrête devant un restaurant qui ne fait plus que de la nourriture à emporter, des pizzas, des pan-bagnats, des pissaladières, des boissons et des desserts. La serveuse le regarde arriver et semble un peu tendue. Cet homme vient tous les jours et lui semble bizarre. Chaque jour il commande une pizza et une bière et va attendre sa pizza sur les marches en buvant sa bière et en regardant les passants ou plutôt les passantes. Et tous les jours quand sa pizza est prête, il doit racheter une bière car la première est déjà finie. Contrairement à la plupart des autres clients, il n’a pas l’air de travailler dans le coin, il ne plaisante pas, il ne discute pas, il ne part pas avec sa pizza vers la plage, il reste là, silencieux. Le patron en riant lui dit que c’est son amoureux, que cet homme vient tous les jours pour elle. Cela ne la fait pas rire parce qu’il lui fait un peu peur, elle sent en lui une solitude trop grande.

un jour, une description, 3 juin

5 octobre 2020

Un petit bateau sur la mer. Depuis des semaines, il sort deux fois par jour pour relever ses filets, remonter le poisson, le trier, déplacer les filets si nécessaire, faire son travail quotidien mais ils ne sont que deux bateaux à sortir car la navigation est interdite sauf pour eux, les pêcheurs. Quand il est sur la mer, il a le sentiment que le travail est toujours le même, comme chaque jour, pourtant, chaque fois il est saisi par un malaise, un manque. La ville est entièrement silencieuse et il n’entend pas son grondement de moteurs, de klaxons, d’éclats de voix. Chaque jour, il doit presque se pincer quand il regarde la plage et la longue promenade, vides. Il est pris entre le sentiment d’avoir la chance de pouvoir être sur l’eau, seul et de regarder la ville adoucie et l’angoisse parce que cela dure et qu’il se demande combien de temps ce silence qu’il aime, mais qui lui fait peur, va durer. Souvent, il coupe ses moteurs pour entendre le bruit des vagues sur la plage. Cela le rassure comme le murmure d’une comptine.

un jour, une description, 2 juin

4 octobre 2020

Une femme se tient sagement sur une chaise en paille à côté de son étal de fruits et légumes. Elle a l’impression que la matinée est très longue car il y a très peu de monde sur le marché. Elle a peur de repartir avec sa marchandise et commence à baisser ses prix. Elle se sent un peu déplacée sur ce marché car depuis quelques temps, il est devenu tellement touristique que les gens viennent pour voir plus que pour acheter. Ou ils achètent des épices, des petits sacs de lavande, des olives grecques, des pots en olivier, des savonnettes mais pas ses fraises et ses tomates. Quand elle voit certains de ses clients, elle se rassure, leur parle, ils discutent un peu. Elle sait qu’elle a toujours un accent italien mais elle n’a jamais voulu le perdre. Bien sûr, que cela fait plus authentique et les gens l’aiment bien mais c’est aussi ce qui lui reste de sa Ligurie pourtant si proche et si loin de ce marché coloré tiré à quatre épingles.

un jour, une description, 1 juin

3 octobre 2020

Un homme descend en courant votre petite rue puis, plus tard, la remonte en soufflant dans la pente. Il sait qu’il doit courir au moins une heure et qu’il finit par le plus dur, la montée raide du deuxième raccourci. Il regarde sa montre et il voit qu’il n’a couru que quarante minutes et qu’il est déjà dans le raccourci. Il n’a pas envie de refaire un grand tour. Sa foulée est plus douloureuse, ça grimpe. A l’endroit le plus difficile, une glycine déborde sur la rue, puis différentes plantes parcourent le mur de la grande propriété dont parfois il aperçoit les propriétaires. Il n’aime pas rencontrer des gens pendant sa course, ça le distrait. Il n’aime ni qu’on le salue, ni saluer. Il court justement là pour être seul sinon il ferait comme tous et irait au bord de la mer. Ces intrusions des voix et des corps le gênent. En passant, chaque jour, il se dit que cette maison est belle mais qu’il préfère la regarder dans son effort sans rien pour le déranger. Il est déçu de devoir croiser et saluer les propriétaires et il ne peut s’empêcher d’être désagréable. Mais il s’en fiche.

un jour, une description, 31 mai

2 octobre 2020

Une rue dans une vieille ville touristique désertée mais avec ses habitants qui vont et viennent. Un homme se fait du café avec sa machine dans son magasin vide. Il l’a apportée là depuis que tous les cafés et les restaurant sont fermés. Il ne sait jamais où le boire en lisant le journal. Il décide de sortir quelques meubles et de se mettre sur le trottoir d’en face. Il se dit qu’on va se moquer de lui mais il s’en fiche. Il s’installe confortablement au soleil de ce début de printemps. Il se rend compte que les gens du quartier sont contents de le voir, que certains le saluent et d’autres s’arrêtent, viennent parler avec lui. Peu à peu, quelque chose s’installe et le lendemain du jour de fermeture du magasin, certains lui disent qu’il leur a manqué. Il leur offre un café. Il a le sentiment que, dans ce moment de grandes solitudes croisées, il a trouvé sa place.

un jour, une description, 30 mai

23 septembre 2020

Deux personnes âgées sont assises côte à côte sur un banc blanc face à la mer. Cela faisait deux mois qu’ils attendaient de retrouver leur banc. En cet endroit précis qu’ils préfèrent, ils ont l’impression d’être exactement au creux de la grande baie, à mi-chemin des deux caps qu’ils peuvent voir en tournant la tête, et devant eux, juste la mer et la ligne d’horizon. Il fait en plus un temps magnifique, les bleus du ciel et de la mer sont intenses. De leur banc, ils peuvent entendre le bruit des vagues et le crissement des galets. Ils se tiennent la main comme toujours mais peut-être encore plus fort aujourd’hui. Ils se sont préparés lentement dans leurs habits simples et ont choisi tous deux sans se concerter de mettre des espadrilles. Ils aiment particulièrement ces chaussures qui évoquent leur jeune âge et la douceur des étés. Ils ont leurs pieds bien posés au sol et alignés comme si eux aussi voulaient profiter de cet instant.

un jour, une description, 29 mai

22 septembre 2020

Une jeune femme pousse une poussette dans un chemin. Elle est sortie pour que la petite prenne l’air pourtant elle n’aime pas ça. Mais ses parents ont été formels, elle doit sortir une fois par jour. Ce qu’elle déteste ce sont les jardins publics avec les autres nounous, les mères, les grands-mères et les enfants. Elle a tout le temps le sentiment qu’elle est jugée, qu’on trouve que la petite n’est pas débrouillarde, qu’elle pleure trop, qu’elle ne s’en occupe pas bien. Quand elle téléphone, elle voit bien les regards noirs que lui lancent les autres femmes. Là sur le chemin, au moins elle est seule. Elle peut téléphoner comme elle veut parce que sinon elle s’ennuie. C’est normal, la petite ne parle pas. Alors elle appelle sans cesse ses copines, la famille, toute la journée pendant qu’elle s’occupe de l’enfant. Elle se dit que plus tard, elle pourra parler à l’enfant. Mais là, elle ne comprend pas pourquoi elle devrait le faire.

un jour, une description, 28 mai

21 septembre 2020

Un enfant de cinq ans environ regarde, à travers une vitrine, un chiot qui dort dans son panier. Il veut un chien, pas un poisson rouge ou un chat, il veut un chien à lui, il l’a déjà dit à sa mère et à son père. Il tente sa chance à nouveau mais il sait que sa mère va encore lui redire qu’il est trop petit pour s’occuper d’un chien qui doit sortir pour faire pipi plusieurs fois par jour. Il n’est pas très sûr que ce soit vraiment vrai alors il en parle avec sa grand-mère qui dit la même chose. Il regarde le chiot et il voit qu’un garçon le prend dans ses bras. Il essaie de savoir quel âge à ce petit garçon, huit ou dix ans, en quelle classe il peut être ? Cela lui semble très loin s’il faut attendre d’avoir dix ans pour avoir un chien. Cela lui semble long de grandir.

un jour, une description, 27 mai

20 septembre 2020

Une femme d’un certain âge parle avec son mari dans leur jardin qui fait face au vôtre. Elle sait qu’elle est très habillée pour une matinée passée chez elle, mais elle ne veut absolument ne pas se laisser aller comme la voisine qui est en train de palisser sa tonnelle, qui est en jean et tee-shirt, qui n’est pas maquillée et a des cheveux courts sans véritable coiffure. Elle sait qu’elle a passé très longtemps à se maquiller, se coiffer, à choisir ses vêtements alors qu’elle va rester chez elle mais il le faut. C’est dans la lenteur de son brushing, puis dans la minutie de la construction de son chignon, dans la sophistication des couches de crèmes et de fonds de teint qu’elle apaise l’inquiétude qui l’étreint matin après matin. Rester chez soi, ne plus voir ses enfants et ses petits enfants, il faut qu’elle fasse tout cela pour arriver à se lever et à faire semblant que la vie continue alors qu’elle, elle est entre parenthèses.

un jour, une description, 26 mai

19 septembre 2020

Le petit magasin de fruits et légumes est simple avec des produits locaux et les deux hommes qui s’en occupent sont très avenants. Devant leur magasin, un homme qui n’a pas d’âge, Hugo. Il est le plus souvent assis sur un scooter et regarde dans le vague en fumant. On pourrait croire qu’il est le patron, que le scooter lui appartient, qu’il vient pour parler un peu, qu’il attend son tour, qu’il est un des petits « dealer » du quartier. Il a un regard étrange qui semble perdu même quant il regarde quelqu’un, l’écoute et lui parle. Les deux patrons du magasin lui confient de petites tâches et notamment de livrer des vieilles personnes, aider à porter des panier, trop lourds ou faire des petites courses. Ils racontent avec beaucoup de gentillesse et de drôlerie toutes « les bêtises d’Hugo » qui est parfois parti pendant des heures pour aller chercher du pain à côté. Cette manière à la fois tendre et sans mièvrerie dont ils en parlent nous montrent comment, dans ce qui est encore un quartier populaire, on peut s’occuper de quelqu’un qui défaille. Comme dans les villages avant.

un jour, une description, 25 mai

18 septembre 2020

Chaque jour, une dame descend précautionneusement le raccourci goudronné. Comme tous les jours, elle est sortie de sa maison par la porte du jardin du bas et a pris un petit bout de route puis a bifurqué dans le raccourci. Il descend beaucoup et elle ne veut plus prendre de canne, elle fait donc très attention. Comme toujours, ce matin elle a eu froid et s’est couverte pour sa promenade même si, plus tard, elle sait qu’elle aura chaud. Mais ses vêtements lui semblent être comme une protection, comme une immense couverture ouatée autour d’elle. Elle respire lentement et à fond dès qu’elle aperçoit la mer dans le creux du chemin. C’est le moment qu’elle préfère. Le surgissement presque brutal du triangle de bleu profond qui la ferait presque courir. C’est ce qui la fait marcher jour après jour.

un jour, une description, 24 mai

17 septembre 2020

Un homme qui en fait trop. Malgré sa fatigue, il doit encore voir des clients dont il consulte le dossier rapidement. Les caméras sont prêtes, les micros branchés, il tire sur les manches de sa veste, son tee-shirt est bien en place, il se sent bien, son « look » préparé par ses assistants lui convient. Le couple de nouveaux clients est là, intimidés. Il essaie de les mettre à l’aise, plaisante, les complimente. Il regarde leur maison et sait d’avance tout ce qu’il va trouver et qu’il faudra critiquer avec drôlerie. Il n’y arrive pas, il s’enferre. Heureusement, ce n’est pas du direct, ils couperont au montage. Il regarde ses deux clients et voit qu’ils sont très mal à l’aise, encore plus que tout à l’heure et qu’à l’écran on ne doit voir que ça. Il entend bien qu’il raconte n’importe quoi mais il ne peut pas s’en empêcher. Il voit son équipe lever les yeux au ciel, ils ont l’habitude.

un jour, une description, 23 mai

16 septembre 2020

Une femme se promène avec un tout petit chien sur la Promenade des anglais. C’est sa seule sortie alors, chaque jour, elle s’habille avec soin, elle se maquille, elle met des jolies chaussures. Elle vit dans un tout petit appartement, ce long moment au bord de la mer est le cœur de sa journée. Et puis, elle n’ose même pas complètement se le dire, mais elle aimerait tellement rencontrer quelqu’un. Juste pour parler, se promener ensemble, boire un café sur une plage. Elle avait remarqué un homme qu’elle croisait souvent. Ce jour-là, alors qu’elle se promène, elle le cherche des yeux et croit le voir, elle s’arrête. Quand elle baisse les yeux, son chien a fait ses besoins, elle essaie de faire “mine de rien” et le tire vite avec sa laisse. Elle espère que personne n’a rien vu. Elle se reprend, sourit à nouveau, repart et continue à faire attention à sa démarche et à son allure tout en continuant à jeter des coups d’œil furtifs pour essayer d’apercevoir l’homme qu’elle cherche.

un jour, une description, 22 mai

15 septembre 2020

Deux hommes derrière une haie dense dans un chemin privé. Celui qui est propriétaire de cette maison a décidé de refaire une partie de son chemin et a demandé l’aide de son frère. Ils ne se sont pas vus depuis trois mois. Ils sont émus et contents de se retrouver. Ils se rendent compte que le chantier est plus difficile que prévu. Pourtant les gestes faits ensemble, le labeur, leur permettent de parler vraiment de leur solitude, de leurs parents qui sont loin. A un moment donné, ils s’aperçoivent que l’un est assis sur la brouette et l’autre sur un seau retourné et qu’ils discutent sans plus travailler. Cela les fait rire et leur rappelle leur enfance quand ils parlaient en cachette au lieu de faire les corvées que leurs parents leur donnaient. Ils décident d’aller déjeuner avec leurs compagnes et de laisser là ce chantier. L’après-midi avance, le repas joyeux s’éternise et le chantier ne bougera plus pendant plusieurs semaines. Tout le monde s’en fout.

un jour, une description, 21 mai

14 septembre 2020

Une longue file de gens avec des masques qui s’appuient sur leurs chariots qui débordent de plants de légumes, de fleurs, de sacs de terreau, de pots en céramique, de boites d’engrais. Ils peuvent enfin venir acheter tout ce dont ils ont besoin pour leurs bacs, leurs jardinières, leurs balcons, leurs jardins après de longues semaines à attendre la réouverture des pépinières. Alors qu’ils devaient tous rester chez eux, beaucoup se sont désespérés d’avoir tout le temps pour jardiner et de n’avoir rien pour le faire. On sent dans cette longue queue comme un soulagement collectif et un peu d’effervescence. Se retrouver là, pour la plupart, est déjà un plaisir voire une victoire. Tous prudents, ils attendent en bon ordre et en respectant la distance nécessaire. Les plantes sont dans un alignement presque parfait, émergeant des chariots. Elles sont comme des fragments de verdure faussement désordonnée en partance pour d’autres espaces clos. Morceaux un peu dérisoires, mais tellement espérés, de nature pour des citadins juste libérés.

un jour, une description, 20 mai

13 septembre 2020

On entend sur le marché, une voix de femme rauque et cassée qui raconte une histoire, avec des rires, qui s’arrête, quelqu’un renchérit, elle reprend. Elle travaille dans ce marché depuis tellement de temps, il lui semble qu’elle y vit autant que chez elle, près du village. Ce matin, elle s’est levée très tôt pour ramasser ses légumes et cela lui fait du bien dans sa fatigue de raconter des bêtises avec les autres. Elle aime ce rapport à la parole qui fait que, pendant un instant, ils ont le sentiment d’être ensemble et qu’il se retrouvent ainsi jour après jour. Sa forte voix cassée porte et en fait une figure de ce grand marché, elle en joue, elle harangue, elle blague, elle gronde, elle se moque. Les femmes de sa famille ont la même, un peu masculine, rocailleuse mais sans être gouailleuse avec un accent moins prononcé que ceux de la ville. Elle sait que cette voix marque son appartenance à une vallée de l’arrière pays, proche mais déjà tellement loin de la mer. Cette terre difficile qu’elle défend et qu’elle étale là avec ses légumes plus petits, venus du froid de la nuit, du soleil dur et du gris bleu des oliviers.

un jour, une description, 19 mai

12 septembre 2020

La chevelure domptée par une queue de cheval semble démesurée, dense, épaisse, frisée pour une si petite tête. Quand elle se coiffe le matin, elle ne sait jamais comment elle va faire avec ses cheveux qui l’obligent tous les jours à choisir un personnage. Cela lui plait et, en même temps, lui pèse. Quand elle ne veut pas y passer trop de temps, elle fait juste une queue de cheval ou un chignon flou et elle sait que tout de suite, cela relève ses traits, lui donne un côté avenant même quand elle est de méchante humeur. Quand elle a le temps, elle peut s’amuser à les faire bouffer quasiment en une rayonnante coupe afro ou les dompter en deux tresses ingénues. Elle s’habille pour que cela corresponde à sa coiffure et peut donc ainsi perdre dix ans, ou changer d’origine. Parfois, elle se dit que cette masse lui écrase le visage et qu’on ne la voit pas. Qu’on doit la décrire comme cela : « la petite italienne avec les grands cheveux très frisés » et qu’être résumée à cela, la rend amère.

un jour, une description, 18 mai

11 septembre 2020

Un jeune homme d’une vingtaine d’années qui livre, range, jette, enlève, ajoute des fruits et des légumes dans un petit magasin de primeurs. Son père lui a demandé de venir l’aider car il y a beaucoup de monde et il faut réapprovisionner régulièrement les étals, sortir les cageots, trier, porter. Il n’aime pas vraiment cela, il n’aime pas le contact avec les clients. Il trouve que son père en fait trop, il connait tout le monde, tutoie ses clients, parle de tout avec eux, même de leur famille. Il en fait d’autant plus que tout le monde est masqué, attend pour entrer, se tient à distance. Cette familiarité surjouée le gêne. Il essaie de se faire le plus transparent possible et de ne pas écouter. Il répond poliment quand on lui parle, obéit, mais essaie de bouger sans se faire remarquer. Pourtant parfois, un client s’écarte brusquement de lui et il se retrouve isolé au milieu de l’espace, son cageot à la main, démuni, il ne comprend pas le regard gentiment désolé de son père. Qu’a-t-il fait ?

un jour, une description, 17 mai

10 septembre 2020

Un homme d’un certain âge sur un vélo qui roule lentement sur la piste cyclable d’un magnifique bord de mer. Il est heureux de pouvoir enfin reprendre cette piste interdite pendant des semaines alors qu, normalement, il fait du vélo dessus tous les jours. Il se sent bien, il n’est pas tombé malade mais il a peur pour ses amis de promenade qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Il roule lentement, il ne voit personne. Quand il aperçoit enfin une connaissance, il s’arrête et ils s’échangent des nouvelles. Il est ému. Cela fait longtemps qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un comme cela. Il n’ose pas demander des nouvelles de la famille de son ami mais comprend vite que des gens ont été malades, sont morts peut-être. Alors, ils se sourient doucement, ils sont là tous les deux; ils se retournent et ils regardent ensemble la mer en disant des bêtises pour ne pas pleurer.

un jour, une description, 16 mai

9 septembre 2020

La maison est neuve, quelconque avec sa couleur beige et ses balcons à balustres mais elle a une belle vue sur la mer et un joli jardin. La jeune femme qui y vit l’aime beaucoup et a été très heureuse d’y emménager avec son compagnon. Elle s’y sent protégée un peu au dessus de la ville et cette maison aurait été il y a encore quelques mois un luxe inaccessible. Pourtant, elle a le sentiment d’y être un peu entre parenthèses, comme en vacances. Elle doit prendre la voiture pour faire des courses, aller à la plage, aller travailler, et cela lui donne le sentiment d’avoir changé de vie. Elle essaie d’apprivoiser l’endroit en conquérant peu à peu les espaces extérieurs mais le jardin lui est indifférent. Elle n’en a jamais eu, elle a même le sentiment qu’il lui est hostile. Elle le regarde depuis la terrasse et se demande comment faire. Elle se sent obligée de s’en occuper mais elle n’a pas de modèle à suivre. Elle pense qu’elle n’a pas le mode d’emploi de cette nouvelle vie, elle rit en pensant qu’il n’y a pas de tutoriel pour cela.

un jour, une description, 15 mai

8 septembre 2020

Une voix de femme au téléphone, encore jeune, mais assurée, avec un léger accent un peu traînant. Elle a hésité longtemps à vous appeler. Elle prend de vos nouvelles, donne des siennes et de vos connaissances communes. Elle attend que vous lui posiez une question sur sa fille. Vous ne le faites pas, alors dans une grande inspiration elle se lance et vous explique la situation. Elle voudrait des réponses et une aide immédiate mais à la place elle doit répondre à vos questions et elle se rend compte que sa fille a, une fois de plus, sous-évalué ce qu’elle pouvait demander. Elle est prise entre la joie de savoir qu’elle pourrait avoir plus et l’inquiétude car il va lui falloir beaucoup d’énergie pour convaincre sa fille qui se sous-estime tout le temps. Comme elle. Elle entend au son de votre voix que vous avez compris et que vous repensez à elle vous répondant qu’ « elle ne sera jamais au niveau de ce nouveau poste » que vous lui proposiez. Elle se dit qu’il faut que cela change, qu’elle va convaincre sa fille.

un jour, une description, 14 mai

7 septembre 2020

On entend au loin une musique, quelque chose de très rythmé avec beaucoup de basses. Des jeunes gens ont mis de la musique très fort et ont décidé de braver les interdits et de se retrouver à quelques uns dans une maison vide dont l’un d’entre eux à les clés. Autour des villas, des maisons, des piscines, des jardins soignés. La vue sur la mer les fait hurler de plaisir. Ils s’installent avec leurs packs de bière, leurs téléphones, leurs pizzas, ils font des selfies, se montrent des images et en rient. D’un coup, le ton monte entre deux d’entre eux, les autres ne savent pas pourquoi exactement mais tous s’en mêlent, certains en riant, d’autres plus violemment. Et puis d’un coup, le soufflé retombe, aussi vite que cela avait commencé et on ne sait si cette dispute laissera des traces ou est déjà oubliée. Ils arrêtent la musique car ils ont peur de se faire déloger par la police. Ils restent là, ensemble.

un jour, une description, 13 mai

6 septembre 2020

L’homme aux cheveux blancs et au regard bleu et dur vous accueille sèchement. Il est inquiet. Il n’est pas sûr du protocole sanitaire qu’il a mis en place. Il est distrait, il le sait. Il a l’habitude quand même alors il pose les questions mais il voit bien que la personne en face est surprise. Elle lui avait transmis tous les éléments. Il ne les a pas lus. Evidemment. Il s’en veut et ne peut s’empêcher du coup d’être désagréable, elle le sent. Il fait les examens habituels et quand elle passe dans la machine, il se rend compte qu’effectivement sa situation clinique se dégrade, qu’elle n’est pas venue pour rien. Il commence à regarder de plus près tout ça et, malgré les masques, à s’adresser vraiment à sa patiente. Elle répond juste ce qui est nécessaire. Elle veut s’en aller. Il se dit que la prochaine fois sans les masques, cela ira mieux. Il n’arrive pas à en être certain.

un jour, une description, 12 mai

5 septembre 2020

Une femme qui fait le ménage chez les autres. Le matin, elle sait qu’elle n’a que peu de temps pour se préparer avec les enfants et qu’il faut qu’elle soit à l’aise toute la journée alors qu’avec sa corpulence, elle a vite chaud. Du noir, quand même, parce que le blanc, même si c’est frais, cela la grossit encore. Elle attache ses cheveux sur lesquels elle a passé un produit pour les défriser un peu sinon elle est crépue. Certaines maisons la mettent mal à l’aise car elles sont pleines d’objets qui sont autant de pièges pour elle. Faire le ménage dans ces endroits est une angoisse perpétuelle et pourtant elle sait bien qu’au plus elle y pense, au plus ses gestes, avec ses gros bras, deviennent gauches et qu’elle risque de casser quelque chose. C’est toujours dans ces moments-là quand elle veut faire très attention, que son esprit pense tout à coup à autre chose, que son geste, lui échappe, que quelque chose tombe. Elle aimerait être ailleurs mais elle ne sait pas énoncer où, parfois elle se dit que c’est pour cela qu’elle laisse tout tomber.

un jour, une description, 11 mai

4 septembre 2020

Elle parle très vite. Elle se sent mal dans cet endroit, elle voudrait déjà partir mais elle voit bien que son fils, lui, a très envie de rester après la visite de l’école. Elle ne comprend rien à ce qu’elle voit, elle trouve que tout est moche, qu’il y a trop d’écrans. Elle a quand même bien aimé les dessins dans la salle des premières années et des peintures de fleurs qui étaient en haut. Elle se retient de dire que l’art ce n’est pas ça. Elle voit que tout le monde s’adresse à une femme qui doit être la directrice. Elle fonce et commence à lui demander comment on peut gagner sa vie en ayant fait ces études-là. La réponse calme et claire la coupe dans son élan, et déjà cette femme s’adresse à son fils qui lui répond. Il sourit et lui raconte ce qu’il fait, ce qu’il aimerait apprendre. Elle a été inattentive quelques secondes et voilà, ça y est, il est parti.

un jour, une description, 10 mai

3 septembre 2020

Un homme assis derrière une table devant un large auditoire. Il est heureux de se trouver là à nouveau. Il est à cette place depuis plus de vingt ans. C’est sa place. Il a mis ses habits habituels pour son cours magistral dans le grand amphi dont il est satisfait de voir qu’il est plein comme toujours. Comme d’habitude, il fait froid mais il n’a pas oublié de remonter son col et de mettre un gilet. Ses notes sont prêtes devant lui, il chausse ses lunettes et commence. Comme toujours, il s’écarte de ce qu’il avait préparé, il pense à haute voix. Il réfléchit et il se dit qu’il peut bien prendre des libertés et dire ce qu’il a dans la tête car c’est le début des « dernières fois ». Et il se surprend à dire ça, que c’est la dernière année, la fin, il parle même de la mort mais il prend bien garde à ce que son ton reste léger et à ne pas laisser percevoir l’émotion qui le surprend tout à coup. Qu’est-ce que ça va être que de penser sans ce moment ? A qui va-t-il s’adresser désormais?

un jour, une description, 9 mai

2 septembre 2020

La voix d’un enfant derrière un mur. Il joue avec ses parents pendant cette marche rituelle. Il aime bien ce moment et il sait qu’on se consacre à lui pour qu’il accepte de marcher longtemps. Il invente des jeux mais quelque chose le turlupine depuis plusieurs jours et il se dit qu’il peut peut-être poser la question qu’il retient car il ne sait pas trop comment faire. Il aime beaucoup aller à “Mac Do” parce qu’il y a des frites, des hamburgers, des jouets et que parfois, il peut prendre un coca mais il sent que son père n’aime pas y aller. Il ne comprend pas pourquoi. Lui, il aime bien tout ce que fait son père alors pourquoi ça, son père ne l’aime-t-il pas comme lui ? Est-ce que cela va être souvent comme ça ? Ils ne vont plus aimer les mêmes choses ? Il sent bien qu’on ne répond pas vraiment à ses questions. Il pense que ça ne lui plaît pas que tout le monde n’aime pas les mêmes choses. Ça l’inquiète. Il ne veut plus y penser. Il décide de courir très vite dans le chemin.

un jour, une description, 8 mai

1 septembre 2020

Une maîtresse femme d’une cinquantaine d’années sur un marché. Elle est réveillée depuis 3 heures du matin. Elle est allée au marché au gros, a été livrée de plusieurs commandes et a téléphoné aux pêcheurs qui doivent venir lui livrer le poisson directement à l’étal. Les clients sont déjà là. Elle veille à ce qu’ils soient bien servis et doit rappeler à l’ordre plusieurs fois son jeune fils qui est distrait et qui oublie d’écailler des poissons. Elle est fatiguée et décide de les laisser seuls. Elle part boire un café. De loin, elle les voit rire. Cela la fait sourire qu’ils fassent les « kékés », elle s’en fout. Elle sait que sans elle, cela va être très vite la panique. Maintenant qu’ils se sont défoulés et qu’elle est un peu reposée, elle y retourne en réendossant son air sévère. C’est son rôle. Elle s’y tient.

un jour, une description, 7 mai

31 août 2020

Une jeune femme extrêmement mince, habillée tout en noir, fait la queue devant la pharmacie. Elle sort de son entraînement de boxe et est encore dans l’adrénaline du combat. Depuis qu’elle pratique ce sport, elle se sent mieux, elle n’a plus peur. Elle ne va plus à la pharmacie pour prendre des médicaments pour combattre sa peur mais des compléments alimentaires conseillés par le nutritionniste du club. Elle a pris facilement l’habitude du masque et aime bien celui-là que lui a été donné par son frère. Elle trouve qu’il lui va bien, qu’il s’accorde avec sa nouvelle confiance en elle. Maintenant, elle sait qu’elle peut faire face.

Un jour, une description, 6 mai

17 août 2020

Elle écrit à son bureau, sérieuse, appliquée mais elle doit se dépêcher. La semaine commence et elle va bientot partir pour un voyage. Elle sait qu’elle n’aura pas le temps d’écrire des recommencées en reprenant le fil, jour après jour, de ce qu’elle a déjà décrit. Son regard sera ailleurs. Elle va retrouver le souffle de cette reprise jounalière. Elle doit aussi prendre le temps de tout relire. Elle va travailler et recommencer.

un jour, une description, 20 juin

16 août 2020

L’homme paraît tout de suite sympathique avec ses cheveux blancs coupés courts de façon très moderne et ses vêtements qui dénotent une recherche tout en étant décontractés avec des formes jeunes et ajustées. Il aime beaucoup ses « sneakers » très à la mode avec cette gamme de vert et il est assez fier d’avoir réussi à trouver le pantalon rose et la chemise vert d’eau qui vont tellement bien avec. Il sait qu’il trouve toujours des accords colorés percutants mais chics. Il doit aller travailler dans une petite ville de province et il aime beaucoup les découvrir en marchant même si parfois il voit bien que son allure surprend. Quand il demande son chemin, engage la conversation, s’assied à un café, il sent combien sa voix de fausset, très haut perchée, choque. Il s’en moque et accentue encore son parler maniéré. Il a tellement été moqué qu’il a un jour décidé, et pour toujours, que sa beauté à lui serait liée à cette voix singulière. Depuis, quand il fait des courses, choisit ses vêtement, s’habille, il a pris l’habitude de chantonner pour toujours s’accorder avec elle.

Un jour, une description, 5 mai

15 août 2020

Derrière un mur trop fin, une voix de femme qui ne peut s’empêcher de crier quand elle parle. L’homme à qui elle s’adresse est pourtant près d’elle mais sa véhémence à l’air de s’adresser non pas à lui mais à une sorte de public fantôme. Elle voudrait que tout aille plus vite car les aménagements de la maison et du jardin ne sont toujours pas terminés. Elle sait que le jardin est sec, la maison laide et banale, et qu’il faudra du temps pour que ce lieu, dont elle a hérité récemment, retrouve une vie. Elle gesticule, crie, s’exclame, rit avec une sorte de frénésie qui est tellement visible qu’elle en devient gênante. Devant cette tristesse du lieu, elle a décidé de faire une piscine d’un bleu rutilant, entourée de gazon synthétique. Face à la maison vide, ce petit espace devient factice animé de rires forcés d’une fausse fête sans joie.

Un jour, une description, 4 mai

14 août 2020

On entend des voix d’enfants surexcités. On entend aussi des voix d’adultes. Ils regardent et commentent ce que font les enfants qui se sont enfin lancés dans la chasse aux œufs de Pâques après une longue attente. Certains courent dans tous les sens, d’autres cherchent de manière organisée, tous trouvent des œufs et crient de joie. Une des mères dit que l’un des enfants n’a encore rien trouvé. Sa voix est tendue. Elle répète encore « il n’a rien trouvé » et, effectivement, on commence à entendre des pleurs. Elle lui parle gentiment, lui dit qu’il va trouver, il pleure de plus en plus fort et elle commence à s’agacer. Elle demande à quelqu’un d’aller l’aider sur un ton qui montre qu’elle est fatiguée. Il y a dans sa lassitude quelque chose comme une peur que cet enfant-là n’arrive jamais à être dans la joie éclatante des moments de fêtes et de partage. Qu’est-ce qu’elle a manqué ?

Un jour, une description, 3 mai

13 août 2020

Une femme mince, brune, le visage marqué, qui doit avoir une cinquantaine d’années. Elle vient de terminer sa journée de travail et doit maintenant faire une réunion « zoom » avec ses frères et ses sœurs. Elle est inquiète car elle veut absolument qu’ils règlent certains problèmes de famille et elle craint que cela tourne soit, au pugilat, soit, à une discussion sympathique mais où rien ne sera résolu. Elle range son salon en sachant pertinemment que tout est impeccable. Elle a fait le ménage ce matin car elle ne veut pas se montrer débordée mais continue en se disant qu’il faut aussi qu’ils voient qu’elle fait des choses, qu’elle est occupée, car sinon tout va encore retomber sur elle. Evidemment, un de ses frères, l’aîné, lui fait une remarque sur son agitation. D’un coup, on la voit sur l’écran, se figer, prendre une petite mine de fillette vieillie grondée, puis se reprendre, et devenir cassante et autoritaire. Depuis qu’elle est petite, elle essaie de bien faire face à tous qui ont si bien réussi. Elle y est arrivée mais ne peut s’empêcher d’en faire trop pour qu’il lui disent que c’est bien, qu’elle est la meilleure d’entre eux tous.

Un jour, une description, 2 mai

12 août 2020

Un homme d’une soixantaine d’année, maghrébin, il se tient devant une secrétaire médicale assise à son bureau. Il avance une ordonnance vers elle et ne dit rien. Elle s’en saisit, la lit et la lui retend en lui disant qu’il n’a pas pris rendez vous. Il lui dit qu’il vient pour l’examen comme l’a dit le docteur. S’engage alors un dialogue de sourds entre lui et elle. Il va finir par faire son examen. Il semble un peu moins inquiet quand elle lui dit d’aller boire de l’eau. Il panique, il ne sait pas où boire, combien boire, pourquoi boire, malgré les indications, il se trompe de porte. La secrétaire doit se lever et elle voit qu’il a peur. Elle lui explique mieux. Il nous semble que c’est la première fois que cet homme fait un examen de ce type et qu’il pense que, s’il fait cet examen, et qu’en plus il doit boire avant, c’est qu’il est forcément gravement malade. Il porte comme nous tous un masque. Malgré la climatisation, il transpire et enlève son masque pour s’essuyer le visage avec un mouchoir en tissu. Il voit la secrétaire lever les yeux au ciel et lui faire signe. Il remet précipitamment son masque. A l’envers.

Un jour, une description, 1er mai

11 août 2020

Assise à une table de salon de thé, elle a l’air perdue et vaguement ennuyée. Ses amis, une femme et un homme, la regardent d’un air apitoyé et avec une pointe d’agacement. Ils pensent tous deux que, pour une fois, elle accepte de les voir ensemble, il faut qu’ils lui parlent et l’aident à se ressaisir. Ils en ont souvent parlé et savent qu’ils sont d’accord : il faut qu’elle réagisse. Ce sera à elle de commencer. Elle lui parle de la beauté de la vie, qu’il faut qu’elle se fasse aider, qu’elle aille voir quelqu’un, qu’elle peut lui donner des adresses. Elle ne reçoit aucune réponse, au contraire, elle se rend bien compte qu’elle semble l’ennuyer. L’homme plus âgé, certainement sourd car il parle fort, continue en disant qu’elle se laisse aller, que ce n’est pas possible alors qu’elle a tout pour elle. Elle est gênée, il parle fort. Elle se moque de ce qu’il lui raconte, mais son histoire ne regarde qu’elle, elle ne veut pas que leurs voisins l’entendent. Elle essaie de sourire pour donner le change, acquiesce vaguement, pour qu’ils arrêtent, qu’ils parlent enfin d’autres choses, qu’ils ne s’occupent plus d’elle et qu’elle puisse enfin écouter tranquillement leur bavardage. C’est leur babil léger et sans enjeu qui lui fait du bien.

Un jour, une description, 30 avril

10 août 2020

Un vieux monsieur taille la haie de son jardin en intimant régulièrement à son chien l’ordre de se taire. Le chien semble enfermé ou attaché à un autre bout du jardin et par un « waouf, waouf » régulier et allant toujours par deux, il se signale à son maître ou demande qu’on le détache, qu’on le caresse, qu’on s’occupe de lui. Le maître occupé, lui répond régulièrement « tais-toi », c’est sa manière de lui signifier qu’il l’a entendu et qu’il sait qu’il est là. Ce dialogue entre l’homme et l’animal fait comme une litanie dans la torpeur de l’après-midi. On n’a jamais entendu le chien aboyer vraiment sinon dans ce moment-là. Quand le chien s’impatiente, il aboie un peu plus longtemps, le vieux monsieur proteste d’un « oh, tu vas te taire, oui ! ». Un silence et puis ça recommence. On a le sentiment d’avoir depuis toujours entendu ça à travers la campagne agricole avant qu’elle n’ait été dévastée par l’avancée de la ville. Un peu agacée, on se rend compte que cette ritournelle nous fait du bien.

Un jour, une description, 29 avril

9 août 2020

La voiture cabossée et bleue roule très lentement sur une petite route où vous vous promenez. Les jeunes gens à l’intérieur semblent comme absents, ne regardant ni le paysage, ni la campagne environnante. Chacun fume une cigarette, ils ne se regardent pas non plus. Elle scrute néanmoins la route avec une sorte d’anxiété et on se demande en voyant l’état de la voiture s’ils n’ont pas eu de nombreux accrochages. Vous êtes en train de cueillir des fleurs le long du chemin et la voiture ne vous évite pas, au contraire, elle vous oblige à vous pousser. La musique très forte qui sort de la voiture vient couronner la violence sourde de la situation qui d’un coup vous apparaît presque cinématographique. Vous ne savez si c’est eux qui jouent à imiter une scène ou si c’est vous qui projetez cela. Vous êtes mal à l’aise tant que la voiture ne disparaît pas au loin.

Un jour, une description, 28 avril

8 août 2020

Une voix de femme haut perchée mais pas jeune. Elle adresse une question à un homme qui n’est pas très loin d’elle et qui taille un haut rosier en chantonnant. Quand il entend sa question, il descend lentement de son escabeau. Elle répète sa question et il lui dit qu’il a entendu, qu’il ne faut pas qu’elle s’énerve, que oui, après avoir taillé le rosier, il va tailler la vigne avant qu’il ne soit trop tard, évidemment. Son ton est calme et gentil. Il la rassure comme d’habitude, et cette façon qu’elle a de toujours vouloir s’assurer qu’il fait ce qu’ils ont décidé, ou ce qu’elle a décidé, le rassure lui aussi sur ce qui les lie jour après jour.

Un jour, une description, 27 avril

7 août 2020

Chaque jour, dans une ruelle, un couple se promène en se tenant la main sans se dire un mot. On dirait qu’ils essaient de passer inaperçus. Ils croisent un jogger qui lui, tous les jours, monte cette ruelle très pentue en soufflant. La femme et le jogger se disent bonjour mais jamais le mari n’ouvre la bouche. Il explique qu’il ne va pas dire bonjour à tous les gens qu’ils croisent et qu’il trouve désagréable cette manie qu’elle a de dire bonjour à tous. Il lui dit qu’elle a dû prendre cette habitude dans son entreprise où c’est la règle. Elle lui répond que non, que ça lui vient des longues promenades qu’elle faisait avec son père en montagne où la règle est de saluer tous ceux qu’on croise. Il lui fait remarquer que la montagne est loin, et elle lui répond en riant que le chemin est très pentu et que ça lui fait du bien à elle, de penser qu’ils ne sont plus en ville en retrouvant cette habitude rurale. Par ce salut, elle s’évade un peu dans une illusion de vacances.

Un jour, une description, 26 avril

6 août 2020

Une femme et un homme dans un chemin essaient d’échapper à la moiteur d’un appartement où ils sont confinés depuis des jours. Ils se promènent sur une route puis aperçoivent une toute petite route qui descend, un raccourci pour revenir en arrière sans être obligé de refaire le même chemin. Ils décident de le prendre et elle lui dit combien elle trouve les maisons autour jolies avec une impression de campagne alors qu’ils sont encore quasiment dans la ville. Elle cueille des fleurs sur le talus. Ils entendent quelqu’un sur une terrasse recouverte d’une tonnelle fleurie et sursautent en se regardant, puis décident de s’éloigner au plus vite en entendant qu’on leur dit bonjour. Ils ne savent pas pourquoi ils ont eu ce réflexe stupide. Citadins, ils ont eu le sentiment de voler quelque chose en cueillant ces fleurs. Leur peur les fait rire enfin, et les rapproche, le retour dans l’appartement devient plus doux. Le bouquet sera, un temps, une évocation de cette légèreté qui les apaise.

Un jour, une description, 25 avril