Le corps est presque nu, de dos. La jeune femme est assise sur le bord d’un lit ou d’un sofa blanc immaculé. Les jambes sont tournées vers la gauche alors que la tête regarde vers la droite. On ne voit pas son visage. Autour de son bras gauche, un morceau de tissu blanc gris, qui semble entourer le bras et le coude en de multiples plis presque tirebouchonnés. Le blanc de ce morceau de tissu n’est pas clair, ni lumineux contrairement au lit mais au contraire d’un blanc tirant vers les couleurs froides comme les grands rideaux qui ferment l’espace. Ce bout de tissu ne vient rien cacher qui devrait l’être On voit bien qu’il fait le lien coloré entre les plans. On voit bien qu’il fait le lien entre les plis du lit et ceux du turban. Qu’il donne de la force à ce pli du corps, le coude, qu’il aurait peint mollement. Mais on a le sentiment qu’il est aussi un morceau de bravoure, une envie du peintre de faire ces plis et replis, ces nœuds de tissu avec une précision absolue. Voir comment le corps et la scène résistent à cette intrusion. Par ces plis et les replis, mettre en valeur l’aplat subtil du dos. Nous le désigner.
les images
28 février 2021
Une pomme verte. Elle est à l’arrière plan. La scène est à l’avant, elle est même presque basculée vers le premier plan. Il y a les fruits, quelques légumes, une assiette, des tissus, une sculpture en plâtre, et certainement, quelques tableaux posés sur la tranche, qui creusent l’espace, le structurent en un feuilletage de plans. Et puis la pomme. Elle serait peinte à l’angle entre les deux murs, et le sol, roulée là. Mais au lieu d’être peinte sous la table, elle tient comme suspendue, prête à dévaler la pente. On dirait qu’elle scande l’espace, le marque, comme si elle était une punaise venue dans ce coin tenir tout l’espace du tableau. D’un vert jaune entouré d’un cerne foncé et bleui, elle se tient à part des jaunes, bruns, roses, verts très clairs, presque gais et du blanc lumineux. Comme un clou. Enfoncée là, on la sent sérieuse, tenant son équilibre, ne se laissant pas aller. Dans l’espace déconstruit, elle fait advenir la peinture.
14 février 2021
Un pan de mur en briques recouvert d’enduit gris décrépi, coupe la peinture en deux. A gauche, la scène, l’ange qui surgit et la jeune femme, déjà auréolée, qui recule, qui d’une main reçoit et de l’autre se protège. Autour, les plis de rouge et de blanc dans la lumière. Le pinceau visible, gras, présent. De l’autre côté du mur, un débarras, une cave, peut-être un atelier, empli de planches de bois posées contre un mur, de bastaings au sol, d’une boîte qui fait penser à un cercueil. Alors bien sûr, on connait l’histoire, alors on comprend, un atelier de menuisier. Mais ce qu’on voit ce sont une planche dressée et un autre planche perpendiculaire et on sait que c’est comme une croix. Presque une croix dont la lumière vient juste éclairer le bord le plus mince. Conduire notre regard. Le petit pan de mur qui fait tenir ensemble deux espaces, deux temps, part en morceaux comme si les ruines de l’histoire avaient déjà rongé l’image.
30 janvier 2021
Il y a une première main. Elle est posée sur une feuille blanche, elle-même sur une table recouverte d’un tissu bleu clair. Elle tient une plume mais elle n’écrit plus. Il y a la seconde main, qui touche le menton de celle qui écrivait comme pour l’obliger à tourner le visage vers la troisième main. Il y a donc, une troisième main au dessus de la première, un peu en arrière plan, un peu floue. Elle tient une feuille blanche qui accroche la lumière qui vient de la gauche. Elle la tend mais en restant un peu en arrière comme si elle ne savait pas si une des deux mains allaient accepter de prendre le papier, et si oui laquelle. Les trois mains forment un triangle au centre du tableau pour que nous regardions le petit carré de papier. Une lettre dont on ne distingue rien. Comme une béance dans le récit et dans la peinture. Un blanc.
9 janvier 2021
L’image semble être reproduite plusieurs fois sur les différents murs par des grandes projections vidéos. L’image est sombre, souvent verdâtre. On se rend compte que même si cela semble le même endroit qui est filmé, ce n’est pas exactement les mêmes images sur chaque mur de la salle. On voit un lieu qui ressemble à une cave, un hangar. Il y a une vieille chaise pivotante, des bouts de bois, une plaque de plâtre, des serre-joints, une plaque de polystyrène, des tasseaux, une porte entrouverte .. C’est un atelier déserté. L’image tremble, ce n’est pas un photogramme, c’est une vidéo mais rien ne se passe. On regarde. On pense à l’artiste qui filme le lieu qu’il n’occupe plus. Qui nous dit, voilà, je n’y suis plus. Tout à coup, on perçoit un mouvement et un chat noir dont les yeux sont comme deux phares, traverse l’écran. C’est ce qu’il reste du travail, un fragment intense de vie dans l’immobilité tremblée d’une disparition.
2 décembre 2020
Le coude est posé sur la table rose. Le bras vermillon fait un angle droit et la main rejoint la tempe de la liseuse qui est légèrement penchée mais face à nous. Devant le bras sur une table rose, un carré presque blanc entouré d’une mince ligne noire, plus épaisse du côté du fauteuil, à gauche. Carrés de bleu, grands aplats de rose et de noir, le tableau se tord entre surfaces, diagonales amorcées et reflets distordus. Il y a trois autres aplats de blanc mais sur chacun il y a des coups de pinceaux pour représenter, sommairement, même pas figurer vraiment, deux dessins et un tableau. L’aplat du livre est le seul à être blanc, comme si peindre un livre était impossible. Ce carré-là fait comme un trou dans le tableau. Un aplat de blanc qui serait le livre sur lequel rien ne serait écrit, ou un livre refermé, sans titre avec une couverture monochrome. Une forme de silence, un arrêt du regard dans la peinture. Quelque chose ne peut pas être peint.
4 novembre 2020
Une table montée sur une petite estrade verte avec des pieds fins en métal très travaillé. Derrière ce bureau, un banc vert, avec des pieds et un coussin rouge. Partout sur le banc, sur l’estrade, sur la table, des livres ouverts, tombés, dont on distingue le blanc des pages et les écritures. Sur ce banc, un homme est assis. Il est brun, barbu, il semble porter un bonnet noir. Il est vêtu d’une petite cape marron, sur une longue robe blanche plissée et dessous, on voit apparaitre à ses pieds, une autre robe rouge vif qui surgit aussi en un anneau rouge à chaque poignet. Toute la peinture joue sur cet accord de vert et rouge qui nous permet de nous guider dans une accumulation de détails tous soigneusement représentés vers celui qui écrit. L’homme a une main posée sur le bureau et l’autre, levée, une plume à la main, comme s’il allait écrire sur les pages que l’on aperçoit sur le bureau. Il regarde vers la droite à travers la fenêtre qui éclaire la pièce mais que nous ne voyons pas. On ne sait s’il voit quelque chose, s’il réfléchit, s’il rêve mais seul dans cet espace représenté comme une boite, il travaille.
14 octobre 2020
Un corps allongé dans un lit à baldaquin sans rideau. D’abord une couverture rouge et ensuite un drap blanc, légèrement plissé, qui revient largement sur la couverture. Le corps est visible, notamment le renflement des pieds, mais on ne peut encore savoir si c’est un homme ou une femme. Le corps est couché du côté droit du lit tout près du spectateur. La tête est posée sur un oreiller blanc. On voit à la finesse des traits et à la coiffure surmontée d’une couronne tressée que c’est une femme. Son bras droit sort du drap, plié, sa main est contre sa joue comme si elle la soutenait ou la caressait. Cela donne du mouvement au drap et les plis de la manche créent un rythme perpendiculaire à ceux du drap. Par ces détails et la lumière, notre regard est guidé vers le visage de la dormeuse. On ne sait pourquoi cette main est là, comme une mise en scène du sommeil de la dormeuse. Une forme caressante. Peut-être qu’elle rêve. Que c’est le début d’un songe.
5 octobre 2020
Quatre grandes plages colorées verticales, bleue, noire, beige et verte. Certaines sont plus larges que d’autres, surtout la noire qui prend quasiment tout le centre du tableau. On voit quelques lignes horizontales à peine marquées dans le pan bleu clair de gauche et une ligne noire assez marquée qui sépare le beige et le vert. Quand on regarde mieux, on voit qu’il y a tout en bas, un pan horizontal de gris très foncé presque noir qui commence à gauche et se finit par une légère diagonale dans le beige. Comme un écart, un espace entre nous et le noir. Un endroit où poser le regard puis les pieds. Il faut alors regarder de très près et voir que dans le noir qui semblait monochrome, il y a des lignes verticales et deux lignes horizontales d’un noir à peine moins foncé. Suivant l’angle et la lumière, on pense qu’on se trompe. Et puis non. Un balcon ou plutôt la vision fantôme d’un balcon. Une peinture qui se souvient.
21 septembre 2020
Le socle est fait d’un tabouret couché qui n’a plus de siège. Dessus une plaque d’aggloméré sur lequel repose ou est fixée, une sculpture de bois. Elle est constituée d’une série de petites planches de bois assemblées entre elles. Certaines sont longues et tiennent sur le socle, d’autres sont accrochées aux plus grandes en grappes ordonnées. Il y a donc du vide entre les planches ou plutôt les bouts de tasseaux. On voit que certains étaient colorés ou ont été peints. L’ensemble est ambigu car on ne sait si c’est une sculpture sur un socle ou un assemblage de tous les éléments dont certains joueraient à être un socle et les autres joueraient à être une sculpture. Comme si ce qui était dressé là, crânement, était dans la décision d’un homme de faire des formes dans une économie des gestes et des matériaux presque poignantes.
14 septembre 2020
Un pied chaussé d’une mule. L’avant du pied est dans la petite chaussure dont on distingue à peine la couleur jaune et le vert foncé du bord. Sur le dessus, on devine un pompon vert gris. On voit le pied de l’arrière gauche, le talon est entièrement soulevé laissant apparaitre la semelle blanche de la mule. Le dessous du pied est peint d’une couleur orange laissant voir en transparence quelques traits bruns, le dessus du pied est peint en blanc rosé et en un jaune transparent. Les ombres sont bleues. Autour de la cheville un bracelet épais jaune peint avec des rehauts de blanc et de rouge. Autour du pied, des drapés blancs épais et un sol brun. Quand on ne regarde que le mouvement du pied, on a le sentiment d’un corps qui s’élance. On est surpris de voir que ce corps s’affaisse dans un grand mouvement renversé d’Orient fantasmé.
8 septembre 2020
La main de marbre blanc sort d’une manche et se retourne pour soutenir un homme sous l’épaule. On voit le poignet, le début des doigts et l’index. Le corps immense, imprécisément taillé dans la pierre, est derrière l’homme et cette seule main l’empêche de s’effondrer. Elle est très large, on voit les os qui sont clairement tous sculptés sous la peau puis les articulations des doigts pliées et l’index qui suit la courbe du corps. Les doigts semblent s’enfoncer dans une étoffe à peine saillante et moins lisse comme si le marbre n’avait pas été poli à cet endroit là. Cette main dans sa démesure vient dire tout de la force de celle qui retient et du poids de celui qui meurt.
6 septembre 2020
L’homme est debout, il est à peine vêtu. De sa main, il fait un geste comme pour repousser quelque chose ou quelqu’un. Devant lui, une femme agenouillée avec de très longs cheveux presque blonds quasiment peints dans une couleur orangée qui lui recouvrent presque tout le corps. Elle tend les mains vers lui, elle le regarde. Elle est à la fois effondrée et émerveillée, la bouche entrouverte dans un cri qui est de surprise, de joie comme de douleur. De son geste, il l’empêche d’avancer ses mains, d’aller vers lui. Sans la repousser, il crée une courte distance infranchissable que l’on peut mesurer du regard entre elle et lui. Sa main à lui et ses mains à elles sont peintes en beige rosé devant une roche très blanche. C’est là que l’on veut que l’on regarde. Cette distance, cet empêchement, où tout est dit ou tout ne peut plus se dire. Ne me touche pas. Je ne peux plus être touché.
4 septembre 2020
Le regard brun est tourné vers nous avec une pointe de peinture blanche qui lui donne un éclat humide. Le visage émerge du noir du fond et du velours des habits et du chapeau. Les rides, les cernes, la barbe naissante, la force du nez, l’ombre de la lèvre inférieure un peu renflée, la fossette du menton, tout est très précisément modelé par la douceur de l’huile. Pourtant, la figure se tient dans une distance un peu méfiante et seule la petite cicatrice qu’il a au dessus de la lèvre nous permet un moment de tendre connivence avec le jeune homme qui nous dévisage.
2 septembre 2020
La main levée avec les deux doigts dressés et bénissant vient devant un pan de mur blanc. Au centre, un seul lys blanc peint très précisément dans un vase qui semble doré avec deux petites anses décorées. Ensuite, une colonne fine, très légèrement rosée puis un pan de robe bleu et deux mains jointes qui viennent rompre avec les lignes des plis de la robe. La main, le lys et les mains jointes sont quasiment sur la même horizontale. Sans voir les visages, on comprend le sujet de la peinture et ce qui se joue. Une acceptation.