Un homme d’une cinquantaine d’années dans un avion. Nous nous sommes côte à côte donc très près. Nous portons des masques. Il est assez grand, assez fort et déborde un peu de son siège. Chauve, on voit juste de lui des petits yeux bruns au dessus de son masque blanc. Pendant tout le temps de remplissage de l’avion, il ne bouge pas, ne lit pas, ne regarde pas son téléphone. On se dit qu’il est peut-être tétanisé par la peur d’une trop grande proximité. De temps en temps, il regarde la place qui est restée libre près du hublot. Quand les portes de l’avion se ferme, la place est toujours libre mais il ne la prend pas alors que cela nous permettrait d’être à distance. On attend un peu et puis on lui fait signe en lui montrant la place et en lui disant que, peut-être, il pourrait la prendre. Il ne semble pas comprendre et puis, d’un coup, il se déplace en nous disant « vous avez raison, vous aurez plus de place » comme si c’était la question. On le remercie. Quelques minutes plus tard, les hôtesses font bouger tous les passagers quand c’est possible pour que les uns et les autres soient à distance. Il regarde ces mouvements, et, tout à coup, il semble comprendre, il touche son masque et se met à se laver frénétiquement les mains au gel hydroalcoolique sorti de son sac. Comme si, pris par le vol, l’avion, il avait oublié la pandémie, les « gestes barrière », le masque et qu’il venait de s’en rappeler. Il se tourne vers nous et se tape la tempe avec deux doigts en secouant la tête. On lui sourit largement espérant qu’il pourra saisir notre expression. Il regarde par le hublot, on se plonge dans notre livre.