Une voix amie au téléphone. Une amitié très ancienne qui s’est peu à peu défaite mais qui perdure d’anniversaire en fête. La conversation démarre en se racontant où on en est, ce qu’on fait en reconstruisant les parcours de chacune, le travail, où en sont les enfants, les choix de vie tellement différents de l’une et l’autre. Comme si vous étiez autour d’un café, vous vous connaissez assez bien pour que peu à peu la distance disparaisse comme si vous vous étiez quitté il y a peu. Pourtant à un moment, quand elle dit « oui et comme tu l’as dit », vous vous rendez compte que non, ce n’est pas ce que vous avez dit. Alors vous la reprenez et reprécisez votre pensée et elle continue comme si vous n’aviez rien ajouté. Peu à peu, à petits coups de distorsion de ce que vous avez dit, de ce que vous avez vécu, de ce que vous auriez pu penser, vous vous rendez compte que la conversation est complètement chaotique. De plus en plus, elle se met à surinterpréter tout ce que vous avez dit et à partir de là, à tenir une discours incohérent entre la divagation et des affirmations autoritaires presque délirantes. Vous ne parlez plus. Vous essayez que votre silence empêche son soliloque de se nourrir de vos mots. Vous écoutez cette dérive et vous pensez à sa solitude. Vous êtes inquiète.